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Un Scandale criminel

Le jeudi 16 avril 1998.

En Europe, la France est devenue l’un des pays qui bafoue le plus systématiquement le droit d’asile [1]. Dans ce domaine, le traitement réservé aux Algériens est criminel. En 1996, sur 1 080 demandes algériennes examinées, seules 49 ont donné lieu à une décision positive, soit 4,5 %. Depuis des mois, Jospin et son ministre de l’intérieur affirment qu’il faut mettre un terme à cette situation scandaleuse, résultant pour une bonne part de la jurisprudence du Conseil d’État qui, depuis 1983, refuse l’asile aux étrangers persécutés par une autorité autre que l’État dont ils sont ressortissants. En réformant le droit d’asile, la loi Chevènement concrétiserait ces bonnes intentions.

Pourtant, tout porte à croire que les conséquences concrètes de cette réouverture proclamée du droit d’asile seront particulièrement limitées. Le gouvernement aurait pu balayer d’un revers de main la jurisprudence du Conseil d’État en inscrivant dans la loi la possibilité d’accorder l’asile à tout étranger persécuté, du fait de l’État ou d’un quelconque groupe armé. Au lieu de réaffirmer ainsi le droit d’asile « classique », le gouvernement a préféré « contrebalancer » cette jurisprudence restrictive en créant deux nouveaux statuts, baptisés asile « constitutionnel » et asile « territorial ». Bien évidemment, ce choix n’est pas fortuit.

Selon l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) [2], l’asile « constitutionnel » ne pourra concerner que quelques dizaines de cas par an, seuls quelques journalistes et artistes « défendant la langue française » pouvant espérer être considérés comme des « combattants de la liberté ». Quant à la définition du mot « liberté », Chevènement a balisé le terrain en parlant de liberté « républicaine », excluant ainsi les islamistes mais aussi les militants anarchistes ou d’extrême gauche.

Quant à l’asile « territorial », la loi Chevènement se contente d’inscrire dans la législation une pratique instaurée par Pasqua, dans une circulaire de décembre 1993. En quatre ans, 3 000 personnes ont bénéficié de ce dispositif, essentiellement des ex-Yougoslaves et des Algériens. En officialisant cette procédure, Chevènement instaure en France un sous-statut de réfugié, nettement moins protecteur, en fait une simple autorisation de séjour, et dépendant totalement du ministère de l’intérieur qui peut l’accorder, le refuser ou le supprimer selon son bon vouloir.

Au-delà des effets d’annonce, la générosité proclamée parait donc bien relative. Parallèlement, le gouvernement de gauche plurielle persiste à refuser massivement d’accorder des visas aux Algériens, 50 000 en 1997 contre 800 000 en 1990. De plus, rappelons que Chevènement a rejeté la demande d’un moratoire des expulsions vers l’Algérie. En conséquence, à la fin de la procédure de régularisation ouverte par la circulaire Chevènement, on peut estimer à plus de 10 000 le nombre d’Algériens qui seront alors expulsables.

P.


[1En France, 3 400 statuts de réfugié politique ont été accordés en 1996 contre plus de 17 000 en 1989.

[2L’OFPRA, dépendant du ministère des affaires étrangères, décide de l’attribution de l’asile « classique » et du nouvel asile « constitutionnel ».