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Droits des femmes

Urgence d’une mobilisation

Le jeudi 18 juin 1998.

Lionel Jospin s’adresse à la conférence sur la famille ce 12 juin en annonçant le rétablissement pour 1999 des allocations familiales versées sans conditions de ressources, et ce jusqu’à vingt ans, et la prochaine nomination d’une délégation interministérielle chargée de la famille. Mais qu’en est-il des droits des femmes après une année de gouvernement de gauche plurielle ?

Lors de la constitution du gouvernement actuel, les associations féministes avaient remarqué la présence d’un certain nombre de femmes. Yvette Roudy, au début du premier septennat de Mitterrand, avait été nommée ministre aux droits des femmes, puis ce ministère avait été transformé en secrétariat, et ensuite en service, rattaché au ministère du Travail et des Affaires sociales. Ce qu’il est encore, avec très peu de moyens, moins en 1998 qu’en 1982. Et pourtant les forces politiques qui composent le gouvernement — parti socialiste, parti communiste, Verts — s’affichaient comme partie prenante des Assises nationales pour les droits des femmes en 1997, et s’engageaient sur une plate-forme revendicative qu’elles affirmaient vouloir traduire en actes si elles étaient élues. Paroles, paroles, paroles…

À croire que scander la parité et la pratiquer un peu suffit à déclencher l’égalité et à réduire l’oppression spécifique des femmes. Celles-ci n’en sont pas convaincues, c’est ce qui ressort des sondages réalisés à l’occasion du premier anniversaire de Lionel Jospin à Matignon, puisqu’apparaît une moins grande confiance des femmes à son égard, par rapport aux hommes.

Des complaisances nauséabondes

Il a fallu attendre la veille de la manifestation pour l’emploi de toutes et de tous, organisée par le Collectif national pour les droits des femmes, pour qu’un geste soit fait. Geneviève Fraisse fut nommée déléguée interministérielle aux droits des femmes, le 15 novembre 1997, mais sans moyens alloués à sa fonction. Elle annonça alors une campagne d’information sur la contraception, mais nous apprenons qu’il faudra patienter jusqu’en 1999 pour sa mise en place. Une circulaire relative aux violences faites aux femmes fut ensuite annoncée par Martine Aubry, à l’occasion du 8 mars 1998 : un projet de recherches est lancé de deux millions de francs mais aucun financement n’a été trouvé.

Quel bilan ! Mais nous allions oublier de citer les 4,2 millions de francs miraculeusement trouvés, versés pour 1998, au centre Jérôme Lejeune de l’hôpital privé Notre-Dame-de-Bon-Secours, à Paris (XIVe) : ce centre avait été agréé en 1996 et se propose de prendre en charge les personnes de tous âges atteintes d’un handicap mental d’origine génétique, tels les trisomiques, en organisant notamment des missions de formation et de conseil auprès des établissements scolaires et des maternités. Quand on sait l’opposition farouche à l’avortement et à la contraception qui a animé Jérôme Lejeune toute sa vie, on craint le pire quant aux messages qui seront transmis aux femmes. En outre, à l’heure où les hôpitaux se débattent pour maintenir des prestations sanitaires de qualité et accessibles à tous, il est honteux que soit attribuée une dotation à une telle fondation privée : il est vrai que Jacques Chirac est membre d’honneur de cette fondation, aux côtés des membres de la famille Lejeune et de personnages peu recommandables (de droite et d’extrême droite et plus ou moins proches de l’Opus Dei). Mais le secrétariat d’État à la santé estime ce « projet extrêmement sérieux du point de vue médical ».

Pendant ce temps, Xavier Dor en toute impunité continue de sévir à l’encontre du droit à l’avortement. Condamné plusieurs fois pour délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, il continue de bafouer l’interdiction qui lui est faite pendant deux ans de s’approcher d’un établissement de santé. Là où n’importe quel récidiviste pour vol d’orange ou de bicyclette, pour peu qu’il soit jeune et basané, écope de la prison ferme, Monsieur poursuit sa croisade pour les enfants non nés à coups de chapelets, cantiques, culpabilisation et violences verbales envers les femmes et les personnels hospitaliers. La clinique Ordener a fermé ses portes, même si nous ne pouvons affirmer que les seules manifestations des opposants à l’avortement ont déterminé cette fermeture, nous pouvons penser qu’elles y ont contribué : c’est au tour de la clinique Jeanne-d’Arc d’avoir la visite cul-bénite et fasciste.

Urgence d’une mobilisation

Pendant ce temps, les pouvoirs publics laissent vendre n’importe quoi dans les pharmacies. Persona se veut une méthode de régulation des naissances plus performante que la contraception orale, physique ou chimique. À partir de l’enregistrement des changements de température, elle s’adresse aux 20 à 25 % des femmes non satisfaites de la contraception. Elle ne nécessite aucune ordonnance mais requiert un budget de 494 FF pour le moniteur et 95 FF pour chaque nouvelle bandelette réactive. C’est le retour, à force de publicité télévisuelle et écrite, de la méthode Ogino, mais version électronique, méthode qui a fait largement ses preuves d’inopérabilité. Quant à certaines pilules contraceptives, contrairement à la loi qui prévoit que tout contraceptif prescrit doit être remboursé, elles restent à la charge d’un quart des femmes, parmi les plus jeunes et donc les moins argentées.

Pendant ce temps, les locaux du Planning familial sont saccagés à Villeurbanne ; attentat fasciste détruisant le centre de documentation et tout le matériel servant à l’information et la prévention des femmes [1]. Après la liquidation de celui du Nord par Colette Codaccioni et autres serviteurs de la cause antiféministe, l’un des plus grands centres du Planning familial se trouve en incapacité de fonctionner. Croyez-vous que la gauche plurielle a appelé à défendre cette structure au service des femmes ? Non ! Aucune force politique hormis la Fédération anarchiste n’a rejoint le Planning familial lors de la manifestation du 16 mai dernier. Aucune autre manifestation n’est envisagée. Celle initialement prévue le 13 juin a du être annulée faute de forces pouvant l’organiser.

Un attentat fasciste et pas de réaction vigoureuse, dans une région qui subit maintes attaques contre des structures syndicales (Unef-ID par deux fois), contre des librairies anarchistes (La Plume noire, plusieurs fois, et la Griffe récemment) ou contre des militants. Nous comprenons aisément qu’alors des Charles Milon et des Jacques Blanc puissent être élus aux régionales. Qu’ont-ils à craindre dans leurs menées fascisantes ? Plus l’extrême droite qui peut les considérer encore trop modérés, que les forces de gauche ! Les deux personnages que nous venons de citer, en tous cas, sont connus comme opposés aux droits des femmes. Ils ont voté contre la loi Veil ou sa reconduction, contre le remboursement de l’IVG en 1982.

Les élus frontistes ou de droite sévissent depuis des années contre les droits des femmes, dans le Var ou ailleurs, dans le domaine des centres d’information et de planification, réduisant les crédits de subventions aux équipes du Planning familial, parfois pour renforcer la présence des associations familialistes et anti-avortement.

Ce n’est qu’un début

Pour autant, la perception de la famille change permettant de saisir en quoi les femmes ont réussi dans leur lutte pour s’émanciper, avec ou non la même volonté des hommes : il n’est plus possible de considérer le mariage avec enfants comme la seule réalité devant être la norme. Les différents rapports remis pour la préparation de la conférence sur la famille établissent une diversité de situations correspondant aux multiples choix opérés au cours de la vie. Ils insistent sur la nécessité d’offrir des possibilités de contracter entre personnes, mariées ou non, hétérosexuelles ou homosexuelles. Ils reconnaissent que ce n’est plus le mariage qui définit la famille mais la présence d’un ou plusieurs enfants. Même Jospin se garde d’une idéalisation de la famille, celle-ci pouvant être parfois « un lieu d’oppression, d’abus que le caractère privé, voire secret, des relations familiales peut permettre d’occulter » [2]. Mais il a refusé d’accorder les allocations familiales dès la venue du premier enfant alors que tout un chacun sait que l’équilibre économique est des plus déstabilisés à l’arrivée du premier bébé d’une part, et que bon nombre de foyers monoparentaux concernent des femmes seules avec un enfant, d’autre part.

Mais, comme l’évoque Geneviève Fraisse [3], qui s’occupe des problèmes spécifiques des femmes aujourd’hui, en ce qui concerne l’emploi, l’exclusion ou les violences ? Pas la gauche plurielle en tous cas. L’émancipation des femmes ne peut connaître aucun répit : la longue lutte des femmes est à poursuivre en ne comptant que sur les seules forces des femmes et de ceux qui véritablement ont pris conscience que c’est tous ensemble que femmes ou hommes nous pourrons gagner contre l’oppression et l’exploitation.

Hélène Hernandez
groupe Pierre-Besnard (Paris)


[2Conférence nationale de la famille, 12 juin 1998, cité dans Le Monde du 13 juin 1998.

[3Cf. interview de Geneviève Fraisse dans Le Monde des 7 et 8 juin 1998.