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Pourquoi une lutte féministe aujourd’hui ?

Le jeudi 13 février 2003.

Il m’arrive souvent de me poser la question de mon militantisme féministe. J’ai l’impression quand je parle autour de moi, même auprès de copines et de copains militant(e)s, de mes revendications, de passer pour une ringarde post-soixante-huitarde un peu déjantée et hystérique.

N’as-tu pas le libre arbitre en ce qui concerne la contraception ? N’es-tu pas libre de porter les tenues vestimentaires que tu souhaites ? N’es-tu pas à égalité avec les hommes dans le monde du travail ? Ce à quoi je rétorque : oui, je choisis la contraception qui me convient mais à quand le nous (pour ce qui est du choix). Oui, je porte les tenues vestimentaires que je souhaite mais pas trop sexies tout de même pour ne pas exciter la libido de ces messieurs. Autrement, à mes risques et périls. Oui, je suis l’égale des hommes dans le monde du travail, mais comment fais-je pour m’organiser dans ma vie personnelle quand mes activités professionnelles me rendent indisponible auprès de mes enfants ?

J’ai encore eu un exemple récent de cette discrimination : une mère d’élève, vivant seule avec sa fille, et ne pouvant se libérer pour venir la chercher alors que cette dernière était malade.

À tout cela s’ajoute l’environnement toujours aussi sexiste : journaux féminins, publicités, littérature nous contraignent de gré ou de force à nous plier à des exigences normées qui nous formatent. La venue de l’été nous impose le régime de rigueur pour nous rendre visibles sur les plages. À grands renforts de pub, nous nous sentons obligées d’acheter la dernière crème qui nous fera paraître plus jeune de x années. Vous me direz que je ne suis pas contrainte de me plier à cela. C’est vrai mais je n’ai pas envie de paraître débarquée d’une autre planète parce que je ne m’épile pas, ne me maquille pas et ne fais aucun cas de mon apparence physique. D’autant plus que l’on est encore à une époque où la séduction ouvre des portes, et personne ne me contredira si j’affirme qu’il vaut mieux être jeune et jolie à qualifications égales pour une embauche quelque part où l’on est en contact avec un public. L’employeur ou l’employeuse aura vite fait son choix.

Que faire pour que nos compagnes et compagnons et ami(e)s se rendent compte de cette oppression continuelle, sournoise mais réelle, et ne la considèrent pas comme peu importante ?

J’aimerais quand je demande qu’un texte soit féminisé ne pas m’entendre dire que c’est une sacrée contrainte : enfin, quelle enquiquineuse cette nana avec ses revendications ! C’est pourtant une revendication primordiale car le langage est la traduction de la pensée, et tenir compte des 52 % de la population mondiale dans nos textes même si cela demande au départ un petit effort d’adaptation est juste et indispensable. Ce n’est que le début d’une prise en compte de toutes les autres revendications : égalité de temps de parole entre les femmes et les hommes, sujets féminins ayant leur juste place dans des débats militants et pas toujours remis aux calendes grecques, prises de responsabilités égales en tenant compte des réalités sociales et familiales, etc.

J’insiste beaucoup pour cette prise en compte dans l’écrit du féminin : c’est loin d’être un acte bénin. À chaque fois que l’on fait cet effort, cela nous renvoie à notre identité, et nous interpelle. J’avoue que, en ce qui me concerne, depuis deux mois, je le fais systématiquement, et ce qui me paraissait laborieux est devenu routine et plaisir d’exister en tant que femme auprès de mes collègues, de mes copains, de mes copines syndiqué(e)s et anars.

Cette révolte paraît peu importante au regard de l’oppression que connaissent des femmes dans les milieux musulmans intégristes où elles subissent des violences qui n’ont rien de comparable avec mes petites contraintes. Et pourtant elle n’est pas si éloignée car quel intérêt apporter à leur cause si elles sont considérées, ainsi que toutes les autres femmes, comme du menu fretin, objets sexuels, exploitées et tout juste bonnes à mieux faire les courses et s’occuper des tâches bassement matérielles pendant que ces messieurs dirigent nos vies de façon intelligente et rationnelle ? Il n’est que de voir les publicités pour se rendre compte de la place réservée aux femmes dans notre paradis économique capitaliste.

Pourquoi s’intéresser à défendre la liberté de toutes les femmes dans leur vie quotidienne si ces dernières n’ont de vie que dans l’ombre des hommes et pas en tant qu’êtres humains à part entière avec des identités singulières liées à leur anatomie, physiologie et qui ne sont pas prises en compte dans leur vie professionnelle et militante : droit d’allaitement réduit à peau de chagrin, congés de maternité pas toujours faciles à prendre dans leur intégralité, aménagement du temps de travail souvent difficile à négocier sous couvert de rentabilité, disponibilité pour les réunions et temps de loisir ? (C’est difficile à obtenir quand on sait que les tâches matérielles sont toujours prises en charge à presque 80 % par les femmes).

Actuellement, la place des femmes est de plus en plus restreinte. On ne peut trouver d’épanouissement dans une société où le maître mot est consommation, où tout est fait pour que les personnes se conduisent avidement, n’ayant pour seul but dans la vie que posséder toujours plus que son voisin ou sa voisine. La femme idéalisée (95 de tour de poitrine et une taille de guêpe, enfin style Lara Croft) est objet de convoitise : les publicités où elle est un argument de vente sont légion et le prouvent. Le plus significatif de cette dérive consumériste est la violence que subissent des jeunes filles violées par des garçons de leur âge sans que ceux-ci leur reconnaissent une autre place dans leur vie que celle d’objet sexuel et le vocabulaire qui banalise ces actes barbares en les nommant des tournantes (comme si le fait de se faire violer par plusieurs hommes était assimilé à un jeu !).

J’ai écrit au fil de la plume ou plutôt au fil de l’écran de l’ordinateur les idées qui me venaient et qui me sont dictées par le fait que mon amie quitte le navire du militantisme. C’est une de plus et c’est une de trop. Pourquoi nous, les femmes, ne trouvons-nous pas notre place dans le milieu militant ? Messieurs, posez-vous la question avant que toutes les militantes féministes aient abandonné le navire. Ce ne serait pas trop tôt et ferait avancer les idées vers un monde égalitaire parce que je continue à penser qu’une société où la moitié de la population mondiale est sous-traitée ou ignorée n’est et ne sera jamais libertaire.

Is@, groupe Jes-Futuro de la FA