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Lois Fillon-Raffarin

la remise au travail forcé(e)
Le jeudi 12 juin 2003.

Depuis un an, les lois antisociales se sont succédé et sont passées sans trop de contestation, notamment parce que les grandes confédérations syndicales se sont concentrées sur l’enjeu des élections prud’homales durant le second semestre 2002, mais aussi parce que le secteur privé, principalement concerné, est relativement atone. Autant des conflits exemplaires ont eu lieu tant que l’enjeu est de « proximité » (plans sociaux, fermetures d’entreprise, revendications salariales, luttes anti-harcèlement, etc.), autant le secteur privé est insuffisamment mobilisé quand il s’agit de questions interprofessionnelles, résultat soit de changements législatifs (l’État), soit d’accords négociés (le patronat et certains syndicats). Mais ce n’est pas un hasard si des régressions sociales aussi importantes que celles des retraites se font au moment où les personnels du secteur privé sont sous pression (1993, 2003) du fait des difficultés économiques.

Restructurations

La loi de modernisation sociale donnait quelques moyens aux comités d’entreprise (CE), moyens assez dérisoires, mais qui permettaient au CE une meilleure information économique et la possibilité de faire des contre-propositions en cas de plans sociaux. Cette loi imposait en outre au patronat une série de délais à respecter. Par effet de la loi du 3 janvier 2003, toutes ces dispositions sont suspendues pendant 18 mois ; autant dire qu’elles ne verront jamais le jour. Les entreprises ont les mains plus libres pour licencier à leur guise, même si on sait que ce n’est pas une loi qui saurait les en empêcher, mais bien l’opiniâtreté du salariat.

Toujours sur les plans sociaux, concernant les départs en préretraite de salariés de plus de 55 ans, Fillon dénonçait la trop grande facilité qu’ont les entreprises à utiliser les aides de l’État pour pousser un certain nombre de salariés « âgés » vers la porte, sous forme de préretraite progressive (PRP), d’allocations spéciales licenciement du fonds national pour l’emploi (ASFNE) ou encore les dispositifs CATS pour des salarié(e)s soumis(e)s pendant au moins quinze ans à des travaux pénibles. En conséquence, Fillon décidait d’augmenter la part des entreprises de 50 % sur les dispositifs ASFNE et de la tripler pour les préretraites progressives. Effort que les entreprises n’entendent pas fournir : de fait, des salariés âgés vont se retrouver aux Assedic plutôt qu’en préretraite, confrontés à des règles d’indemnisation plus défavorables (merci la CFDT).

Autre mesure, le parlement a abrogé la loi « Hue » sur le contrôle des aides publiques aux entreprises, au moment même où le gouvernement élargissait le champ des exonérations en leur faveur.

Nouvelle loi sur les 35 heures

La loi du 17 janvier 2003 a « assoupli » les règles de RTT. Pour rappel, les entreprises de 20 personnes et moins devaient passer aux 35 heures à partir de 2002. Désormais, jusqu’à la fin 2005, le taux de majoration des heures supplémentaires dans ces petites entreprises ne sera que de 10 % pour les heures entre la 36e et la 39e, soit rien de dissuasif pour les patrons. Quant au contingent d’heures supplémentaires (seuil à partir duquel toute heure supplémentaire ouvre droit à un repos compensateur outre la rémunération des heures supplémentaires), il passe de 130 à 180 heures ou est à 90 en cas d’accord de modulation du temps de travail. En bref, la loi Fillon accentue la flexibilité que contenait déjà la loi Aubry. En outre, des accords négociés permettent la majoration des heures sup’ en deçà de ce que prévoit la loi, et des exonérations nouvelles sont offertes au patronat.

Accord Unedic entre Medef et CFDT/CFTC

Les conditions d’indemnisation sont nettement aggravées. Le nombre de filières d’indemnisation est réduit à quatre, au lieu de huit auparavant, conduisant au durcissement des conditions d’entrées et à un abaissement de la durée d’indemnisation pour la quasi-totalité des catégories de chômeurs.

La part des cotisations retraites laissée à la charge des chômeurs passe de 1,2 % à 3 %.

Il faudra désormais au minimum avoir cotisé 6 mois au cours des 22 derniers mois, au lieu de 4 mois au cours des 18 derniers mois pour avoir droit aux allocations chômage, et les conditions pour les salarié(e)s de plus de 50 ans sont plus dures (36 mois d’indemnisation au lieu de 45, 42 mois au lieu de 60 pour les plus de 57 ans). Résultat : alors que le chômage a fortement augmenté en mars (+1 %, soit 24 500 personnes supplémentaires), le public indemnisé a diminué de 0,6 % par rapport à février 2003.

Santé et Sécurité sociale

À noter des mesures visant à réduire les indemnisations des victimes de l’amiante, visant à réduire le peu d’indépendance des médecins du travail. Et puis ce décret du 28 mars 2003, révisant le montant de l’aide aux personnes âgées dépendantes avec de nouvelles restrictions pour l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile (APA).

Puis vient l’annonce du déremboursement de plus de 600 spécialités pharmaceutiques. Les spécialités concernées sont, pour nombre d’entre elles, des médicaments couramment délivrés, notamment en ce qui concerne les antalgiques, les anti-inflammatoires, les antinauséeux, etc. Vous avez dit « confort » ?

Vient ensuite le rapport Chadelat, le 19 mars 2003 concernant « la répartition des interventions entre les assurances maladie obligatoires et complémentaires en matière de dépenses de santé » qui propose des modifications en rupture totale avec les principes de solidarité qui fondent la Sécurité sociale : c’est la porte ouverte vers le démantèlement de la Sécu et la privatisation aux mains des assureurs privés, au détriment des assurés et particulièrement des couches populaires. L’automne sera chaud.

Jeunesse et traitement social du chômage

Nous assistons à la remise en cause des emplois jeunes (employés d’associations et de services publics) en faveur de contrats jeunes en entreprise : voici les jeunes donnés en pâture au secteur privé. Et les moins jeunes le seront également suite à la mise en place du RMA (revenu minimum d’activité) qui place les titulaires du RMI devant l’obligation de travailler 20 heures par semaine, pour à peine 2 euros de l’heure. C’est le patron, public ou privé, qui touchera ainsi le RMI et des exonérations de charges sur bas salaire. « Pourquoi embaucher un smicard à 35 heures alors que deux RMAstes ne coûteront que 366 euros pour 40 heures ? » demandent des militant(e)s d’AC !

Toujours pour la même population des jeunes et des précaires, les divers projets gouvernementaux de régionalisation des formations, notamment celui de l’AFPA, mais aussi de l’éducation nationale, servent en premier à adapter la main-d’œuvre aux seuls besoins des patronats locaux.

Les retraites enfin

Le projet Fillon ne concerne que la partie institutionnelle CNAF de la retraite du secteur privé. La seconde partie, les retraites complémentaires ARRCO-AGIRC, est totalement liée à une négociation entre syndicats et patronats. Or, pour les non-cadres, ARRCO représente en moyenne 40 % de la retraite. Pour les cadres, ARRCO+AGIRC représente environ 60 % de la retraite. Ce qui ce joue aujourd’hui avec Fillon-Raffarin sera la base de négociations entre le Medef et la CFDT-CGC, le Medef cherchera, enfin, en finir avec la structure financière AGFF qui garantissait que les salariés qui ont leurs 40 annuités après 60 ans et avant l’âge de 65 ans puissent toucher le plein de leur retraite complémentaire. Si la loi Fillon passe, le Medef aura enfin son motif pour s’attaquer aux retraites complémentaires.

Allonger la durée de carrière : encore faut-il que les entreprises suivent, fassent l’effort d’employer des salariés âgés et permettent l’adaptation de leur compétences. Ce n’est pas le cas aujourd’hui en France. Au nom de l’efficacité économique, beaucoup d’entreprises se permettent de rejeter un certain nombre de personnels âgés : aujourd’hui, moins de la moitié des salarié(e)s sont encore en activité au moment de la liquidation de leur retraite. L’âge moyen de fin d’activité est de 58,5 ans, l’âge moyen de liquidation de la retraite dans le secteur privé est de 61,5 ans. En 2001, selon le COR (Comité d’orientation des retraites) près de 500 000 personnes étaient en préretraite ou au chômage, dispensées de recherche d’emploi, sans compter celles et ceux qui finissent leur vie professionnelle aux frais de l’assurance-maladie.

En clair, beaucoup de salariés des secteurs privé ou public, dont une majorité de femmes (carrières plus courte, souvent temps partiels subis, salaires inférieurs à ceux des hommes), seront loin des 40, 41 ou 42 annuités. Avec l’effet des décotes, on peut dire sans se tromper que le temps des retraité(e)s pauvres est devant nous, comme il y a une trentaine d’années.

Privé, public : toutes et tous ensemble

Avec l’ensemble de ces mesures, c’est l’ensemble du salariat qui est sacrifié. Sans faire de poujadisme, ce sont principalement les salarié(e)s du secteur privé (et les précaires du public) qui vont le plus subir la réforme des retraite. Cela dit, il ne saurait être question de dénigrer les avantages des personnels du secteur public, dont le plus important est une quasi-sécurité de l’emploi, encore que les mesures de décentralisation, de privatisation, de filialisation et d’externalisation remettent en cause les statuts (cf. France-Télécom, La Poste, la Sernam, etc.). Et quand je dis « avantage », je ne pense surtout pas au mot « privilège » car travailler non-stop pendant 37,5 ans, puis 40, voire 42 ans n’a rien d’un privilège.

La révolte, qu’elle vienne tant du secteur public que du privé et des jeunes et précaires, est donc une légitime réponse à cette véritable guerre sociale déclarée par le pouvoir. Attention quand même que les personnels du secteur public, les plus nombreux et les plus imaginatifs dans la lutte, laissent suffisamment de visibilité à celles et ceux du secteur privé.

Droit de grève dans le secteur privé

Pour ce qui concerne le secteur privé, nous avons un avantage sur le secteur public : il n’y a pas besoin de déposer un préavis. Dès lors qu’il y a un appel collectif ou un motif collectif de se mettre en colère (dans un atelier, un service, un établissement, une entreprise, une branche professionnelle ou au plan hexagonal), il est possible de se mettre en grève sans avoir à donner de préavis et même sans avoir de syndicat dans l’entreprise. Le droit de grève doit être exercé collectivement, sans que pour autant une majorité du personnel se soit déterminé pour.

Le jour J, n’importe qui peut se décider de participer au mouvement : chacun peut se contenter d’avertir de son absence. L’employeur ne peut procéder au remplacement des salariés grévistes en recrutant des intérimaires ou des salariés en contrat à durée déterminée.

ça, c’est le droit théorique : dans le secteur privé, l’employeur n’a pas le droit de sanctionner quelqu’un pour avoir participé à une grève, dès lors qu’il s’agit d’un conflit collectif. Dans la pratique, les patrons ont tendance à attaquer des grévistes pour préjudice lié à la désorganisation suite à un mouvement social, au motif qu’il y a volonté de nuire ou de désorganiser le travail ou quand il y a atteinte à la liberté de travailler.

Toujours dans le privé, seules les heures passées en grève ou débrayage peuvent être décomptées : en aucun cas, l’employeur n’a le droit d’enlever plus de temps que les heures effectivement passées en grève.

Hervé Richard