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Manifeste pour la création de parloirs libres

ou Appel pour le droit à la sexualité, dans la dignité
Le jeudi 27 novembre 1997.

  1. « Au plus profond de son être, en ce point charnière où pulsions physiologiques et épanouissement affectif se nourrissent mutuellement, le prisonnier est atteint. Déstabilisé à la fois dans son organisme et dans son psychisme, il perd sa définition de lui-même et se sent banni aussi bien de l’univers des hommes que de celui des femmes » (Albert Jacquard dans Un Monde sans prisons ?). La prison mutile l’intégrité et affecte l’identité personnelle du détenu. Comment dans ces conditions envisager avec sérieux les chances de réinsertion ?
  2. « Taux de récidive chez les "longues peines" pour les célibataires et les divorcés : 39 et 38 % contre 24 % pour ceux qui sont mariés. On voit combien le lien matrimonial est important à sauvegarder » (tiré du rapport de la commission Cartier sur la récidive). La possibilité d’avoir des enfants, et d’avoir un minimum d’intimité lors des rencontres entre le détenu et sa compagne ou épouse, sont des facteurs favorisant le maintien des liens familiaux. Il est à souligner, par ailleurs, que la situation actuelle en matière de sexualité pénalise lourdement les compagnes ou épouses de détenus (privation de grossesse, d’affection) ce qui, de fait, est une exigence représente une condamnation déguisée.
  3. Les préservatifs sont aujourd’hui à la disposition des détenus, distribués par le service médical. Façon pour la Pénitentiaire de reconnaître l’existence de l’homosexualité, et d’assurer la prévention face au VIH. Homosexualité acceptée, mais hétérosexualité refusée, et durement réprimée lorsqu’un rapport furtif est constaté par le regard impudique du surveillant (retrait du permis de visite, mitard…). L’égalité de traitement face à la sexualité, pour tous les détenus, est une exigence, cette discrimination doit cesser.
  4. Il est à remarquer que la majeur partie des pays européens ont accordé le droit à la sexualité aux détenu(e)s (Espagne, Europe du nord, etc.). Des pays qui, eux, ne se sont jamais revendiqués « Patrie des droits de l’homme ». L’harmonisation en la matière ne serait que pure logique à l’heure où l’Europe se construit.

Mais, une minorité de blocage dans le personnel surveillant semble s’opposer à la mise ne place de « parloirs libres ». Prétextant qu’ils « refusent d’être des voyeurs ». Cette même minorité qui, il y a de cela quelques années refusait l’idée que les détenus aient la télé en prison (louée) avançant le fait que les détenus pourraient en profiter pour tenter d’électrocuter le personnel surveillant. Idem, lorsque les détenus ont quitté leur tenue pénale, le danger dénoncé était celui de voir les détenus s’évader sous couvert du port de vêtements civils. Ou encore, ce refus d’abolir les parloirs hygiaphones, prétextant qu’armes et drogues entreraient massivement en détention. Mais le bon sens, là comme ailleurs, a fini par l’emporter.

Les faux semblants doivent cesser, tout comme les non-arguments avancés pour que perdure cette monstruosité que représente la « castration » imposée aux détenus de France. Le vide juridique concernant la sexualité en prison doit être comblé sans délai, la dignité de dizaines de milliers d’hommes et de femmes en dépends, mais aussi l’honneur d’un pays. Pays dans lequel on refuse encore en cette fin de vingtième siècle, à des humains incarcérés ce qui est, par ailleurs, accepté aux animaux des zoos : la sexualité.

Les détenus des Maisons centrales de France prient les autorités politiques et administratives françaises de prendre des dispositions pour que soient installés des « parloirs libres », ceci, conformément au respect du droit pour le détenu à la dignité, à son intégrité physique et psychique, et au maintien des liens familiaux.

Ce manifeste pour la création de parloirs libres est une initiative des détenus « longues peines » de la Maison centrale de Moulins-Yzeure. Manifeste auquel la majeure partie des détenus ont adhéré à titre individuel.