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Kanaky : haro sur les boat people chinois

Le jeudi 27 novembre 1997.

Les exemples historiques ne manquent pas pour démontrer l’incapacité des luttes de libération nationale à engager une dynamique réellement émancipatrice. Dernière illustration en date, le positionnement révoltant des indépendantistes kanaks sur l’affaire des boat people chinois mérite d’être relevée.

Le 4 novembre, 39 ressortissants de Chine populaire ont débarqué en Kanaky, à bout de vivres et d’eau, épuisés par 54 jours de mer. À bord du même type d’embarcation de pêche traditionnelle, 71 nouveaux boat people sont arrivés le 17 novembre. Il n’en fallait pas plus pour déclencher une véritable hystérie xénophobe.

Le lendemain, mardi 18, Les Nouvelles calédoniennes, le seul quotidien, titre à la une : « Appel à une manifestation anti-immigration ce soir ». En page six, les milieux politiques et associatifs réagissent. Le RPCR, RPR local, propose de « les rapatrier dans leur pays ». De son côté, Roch Warnytan, le patron du FLNKS, déclare « les accepter, c’est mettre un doigt dans l’engrenage ». Il poursuit en affirmant que « la Nouvelle Calédonie ne peut pas et ne veut pas être la base avancée de la politique humanitaire de la France dans le Pacifique. Le FLNKS s’y opposera […] » Un communiqué suit, intitulé « Manifestation aujourd’hui contre l’immigration ». Le Palika (Parti de libération kanak), le LKS (Libération kanak socialiste), le FDIL (Front de développement des îles) et l’USTKE (Union des syndicats des travailleurs kanaks et exploités) y « appellent à la mobilisation contre l’immigration clandestine et imposée des boat people, et contre l’immigration organisée en provenance de l’Europe, de la Métropole, et des territoires et pays du Pacifique ».

Fantasmes d’invasion

Le mercredi 19 novembre, Les Nouvelles calédoniennes proposent une belle photo couleur et titrent pleine une : « Boat people : sept cent manifestants contre l’immigration ». En page quatre, l’Union Calédonienne, principale composante du FLNKS, « exige », dans un communiqué, « que l’État français assume pleinement sa responsabilité : qu’il accueille les ressortissants étrangers sur le sol métropolitain ou qu’il les rapatrie ».

Apparaissant presque modéré dans ce contexte, le Front national se contente d’estimer « que l’État doit tenir compte de l’irritation légitime de nombreux Calédoniens […] ». Qu’ils soient partisans de l’État français et libéraux ou indépendantistes et socialistes, l’ensemble du personnel politique et syndical semble se complaire dans cette union sacrée de la haine.

Ces cent dix pauvres Chinois, sans-papiers du Pacifique, sont donc bien loin d’en avoir fini avec leur galère. Placés en rétention administrative, leur sort dépend du bon vouloir de l’État français dans un contexte de total vide juridique, l’application du droit d’asile n’ayant jamais été étendue à la Nouvelle Calédonie.

Dans l’édition du 20 novembre des Nouvelles calédoniennes, le délégué du gouvernement s’est contenté d’appeler « au calme et à la sérénité ». Il poursuit ainsi : « S’il ressort que ces personnes ne peuvent bénéficier du droit d’asile, elles feront l’objet d’une procédure d’expulsion ».

Une nouvelle manifestation anti-immigrés s’est déroulée à Nouméa le vendredi 22 novembre. En rajoutant à nouveau une couche, les organisations indépendantistes signataires « justifient » ainsi leur démarche : « Le feuilleton des boat people continue et risque de continuer avec l’installation possible de "réfugiés politiques" et l’arrivée d’autres bateaux, et personne ne bouge. Or tout le monde sait que ce sont des immigrés économiques à la recherche d’un nouvel eldorado ».

Rejeter ainsi des immigrés jugés indésirables laisse perplexe sur la capacité d’accueil et d’ouverture sur le monde du nationalisme kanak. Le traumatisme de la colonisation ne peut pas tout expliquer ni tout justifier. Une telle posture, clairement xénophobe, doit être condamnée avec la plus grande fermeté, en Kanaky comme en France.

Patrick
groupe Durruti (Lyon)
avec la collaboration de Bonaventure, correspondant du Monde Libertaire à Nouméa.