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États-Unis

lutter contre l’austérité
Le jeudi 4 décembre 1997.

Une mère de deux enfants s’est suicidée après avoir été expulsée de sa maison quand l’aide sociale lui a été coupée. Une jeune femme est obligée, pour toucher l’aide sociale, de quitter l’Université et d’accomplir un travail forcé : enlever les détritus dans un parc public. Un homme cardiaque, assez âgé, est forcé de laver des bus pour toucher l’aide sociale jusqu’à ce qu’il n’en soit plus capable après une attaque cardiaque. Chaque jour les politiques d’austérité fiscale — de réforme de l’aide sociale, des cotisations sociales, les coupes budgétaires dans l’éducation et les services sociaux — font de nouvelles victimes.

Les politiques d’austérité sont supportées de façon disproportionnée par les enfants, les femmes et les communautés de couleur. Les « dirigeants » nous affirment que ces mesures sont des actes nécessaires et que tout le monde doit se serrer la ceinture. Mais bien sûr, « tout le monde » ne veut jamais dire réellement tout le monde. Les prisons financées par l’argent public sont en plein développement. Les villes et les États sont en compétition pour offrir aux grandes entreprises une baisse des taxes. Les forces de police sont augmentées. Les subsides accordés à l’industrie du tabac sont toujours là. Les dépenses militaires demeurent à un niveau très élevé. Les mesures d’austérité ne viennent pas d’un besoin de réduire les dépenses publiques en général mais de celui de réduire les dépenses publiques dont bénéficient les pauvres et les travailleurs.

L’État remet en cause le « salaire social »

Ces politiques d’austérité ne peuvent être comprises que comme une forme de lutte de classes, Elles sont une attaque contre le « salaire social ». Ce salaire social recouvre le niveau de vie minimum apporté directement ou indirectement par l’assistance publique, les timbres d’alimentation, l’allocation logement et tous les autres services sociaux. Le salaire social est important pour toute la classe ouvrière parce qu’il établit un salaire minimum effectif en dessous duquel les employeurs ne pourront trouver personne pour accepter les emplois qu’ils offrent. Il fournit aussi l’essentiel pour la survie quand il n’y a pas d’emplois. Les politiques d’austérité qui sont imposées à travers les États-Unis font partie d’un modèle global d’attaque des pauvres et des travailleurs nommé « néo-libéralisme ». Le néo-libéralisme est une politique de libre marché, de libre commerce, de mouvements internationaux sans entraves du capital, de privatisation des entreprises publiques, et de coupes dans les dépenses sociales. Le néo-libéralisme est la stratégie dominante de la classe dirigeante du capitalisme international — les propriétaires des banques et des entreprises multinationales — dans la période actuelle.

Certains anarchistes perçoivent un dilemme à se mobiliser contre les coupes dans le système social ou d’autres formes de dépenses publiques. Un tel soutien n’implique-t-il pas une dépendance à l’État pour résoudre nos problèmes ? Il est sûr que la plus grande part des oppositions aux « réformes de l’aide sociale » et des coupes budgétaires ont été réformistes : « si nous pouvons juste faire comprendre aux politiciens la souffrance qu’ils causent, disent-ils, alors ils arrêteront. » Mais refuser de participer à une lutte parce qu’il y a des personnes dans cette lutte qui ont toujours des illusions sur ce système, c’est abdiquer nos responsabilités de révolutionnaires. Les nouvelles politiques d’austérité ne seront pas contrées par des lettres aux élus ou même par des manifestations furieuses, parce que cette politique est le reflet de profonds changements structurels se produisant au sein du capitalisme. Donc les efforts pour contrecarrer ces attaques selon des méthodes réformistes échoueront et beaucoup de gens, engagés dans la lutte, vont commencer à remettre en cause ces méthodes.

Le rôle des anarchistes

Les anarchistes révolutionnaires doivent être là quand ce processus de radicalisation se produira, C’est ce qui se passe déjà dans des douzaines de communautés à travers les États-Unis. Au Minnesota, le Welfare Rights Committee a mis en place une campagne soutenue et militante contre les efforts de l’Assemblée législative de l’État du Minnesota pour mettre en application la réforme de la Sécurité sociale. La Kensington Welfare Rights Union a marché récemment à travers le New Jersey de Philadelphie jusqu’aux Nations Unies à New-York pour dénoncer la réforme de la Sécurité sociale comme une violation des droits de l’homme. Et il y a beaucoup d’autres exemples comme cela aux États-Unis. Les anarchistes doivent participer à ces luttes qui s’opposent aux politiques d’austérité selon leurs principes. Nous ne devons pas cacher nos positions politiques lors de ces manifestations et éloigner les gens de nos idées politiques. Nous devons être patients avec les processus par lesquels les gens développent leurs propres analyses politiques et nous devons aussi être dans un état d’esprit qui nous permette nous-mêmes d’apprendre quelque chose de ces luttes.

Trois principes devraient imprégner notre participation à ces luttes. Le premier c’est l’indépendance, l’autonomie. Une importante fonction de l’assistance sociale dans cette société, c’est de créer une relation de dépendance des pauvres pour les rendre plus facilement contrôlables. Les attitudes de dépendance doivent être combattues. Car qui dépend réellement de qui ? Il faut toujours avoir à l’esprit que les riches dépendent de nous pour faire ce travail qui les enrichit. De fortes traditions d’indépendance existent déjà parmi les pauvres. Les réseaux informels de crèche en sont un exemple. Ces expériences sont à soutenir. Mais ces pratiques ne doivent pas être idéalisées. Le capitalisme est capable d’exploiter les pauvres précisément parce que les ressources dont ces derniers disposent, sont, en dernière analyse, inadéquates pour leur survie. L’indépendance est la base de l’organisation qui doit nous permettre de prendre ce qui est légitimement nôtre.

Le second principe c’est la démocratie. Le mouvement contre les politiques d’austérité ne sera une menace réelle que s’il provient de l’auto-organisation et de l’auto-activité de ceux qui n’ont rien à perdre en s’opposant à ce système. Nos organisations doivent être réellement démocratiques en ayant à rendre des comptes à la base. Les travailleurs sociaux et les militants professionnels prétendent souvent parler pour les pauvres et fixer les objectifs de leurs mouvements. Nous devons nous opposer à cette tendance et mettre en avant la capacité des pauvres à s’organiser eux-mêmes et à diriger leurs propres luttes.

Le troisième principe est l’action directe. Que ce soit en occupant un bureau pour exiger du gouvernement des services publics, ou en occupant un immeuble pour le rendre disponible aux sans-logis, l’organisation contre l’austérité doit commencer par la reconnaissance de la capacité du peuple à prendre ses affaires en main. Les réformes qui sont gagnées révolutionnairement renforcent le mouvement révolutionnaire et donnent au peuple les moyens de se battre un autre jour.

Extrait de Love and Rage, a revolutionnary anarchist newspaper (août-septembre 1997)


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