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Nantes

Chômeurs en lutte !

Le jeudi 22 janvier 1998.

Après des temps d’occupations est venu un temps étrange mélangeant répressions, harcèlements ainsi que diverses tentatives de désamorcage. Depuis, les cibles choisies par le mouvement de lutte des chômeurs/euses se sont diversifiées en terme d’occupations. À Nantes, après l’occupation la première semaine du CCAS et des ASSEDIC, des locaux municipaux, des magasins (la FNAC), des locaux SNCF (pour la gratuité des transports), la chambre du commerce et de l’industrie ont été occupés. Les autorités sont maintenant obligées par une sur-présence policière de faire garder de façon préventive un grand nombre de bâtiments. Les revendications aussi se diversifient avec des solidarités concrètes pour les sans-papiers ou avec un refus du contrôle administratif en soulignant par exemple le pouvoir exorbitant d’un certain nombre de contrôleurs sociaux… La répression à l’heure où ces lignes sont écrites n’a ni arrêté la détermination des chômeurs ni enlevé une certaine popularité au mouvement.

Occuper des lieux où on subissait l’humiliation, ne plus y être pour une demande, ne plus exister que comme un dossier, affirmer sa présence malgré le discrédit officiel, la répression, les promesses, c’est exister comme humain dans la lutte et par la lutte. Peut-être que, pour une fois, l’étalage de consommation et de spectacle de la période des fêtes s’est transformé en déclic pour la prise de conscience… ? À Nantes le mouvement s’est déclenché suite à une occupation au départ négociée entre les leaders de AC ! et la municipalité de gauche. AC !, tout comme la gauche plurielle, ne se doutait pas que le mouvement puisse prendre une telle ampleur et se retourner en partie contre eux. Lors de la derrière manifestation, « Ayraut-démago » et « P comme pourri S comme socialo » étaient des slogans très repris…

Les médias ont un rôle contradictoire dans cette lutte. Aujourd’hui ils relatent le mouvement, ne le laissant pas aux oubliettes de l’histoire, d’où une amplification du mouvement. Mais les médias défendent aussi une notion de lutte par procuration : il suffit d’être d’accord pour être solidaire, voire en lutte et content !

Des divergences

La première semaine, deux lieux ont été occupés, et pas uniquement pour élargir le front social. La CGT et des libertaires (No pasaran, des militants de la CNT et de la FA) ont occupé ou soutenu l’occupation des ASSEDIC suite à un départ du CCAS…

Certes les grandes confédérations syndicales et associations de chômeurs montrent des contradictions importantes dans leurs analyses et leurs tactiques. Ce mouvement est révélateur des contradictions d’un syndicalisme cogestionnaire. Comment Notat peut-elle gérer des institutions au poids économiques énormes (UNEDIC) sans tenir compte et sans s’allier aux choix de la bourgeoisie européenne ? En 1987, dans CFDT magazine on pouvait déjà lire : « Le syndicalisme a conçu des institutions pour gérer le social… Il doit mieux prendre conscience de la force que lui confère le fait de gérer près du tiers de la richesse nationale… ». Le syndicalisme, au lieu de se construire sur des luttes, dans la construction de rapports de forces et de prises de consciences, a trop souvent cherché à construire sa légitimité par une institutionnalisation et une cogestion du système libéral. Les turpitudes gênées de Notat ou Blondel reflètent ces contradictions.

Certes avec des mouvements comme AC ! ou la CGT, le mythe de l’emploi et du recours à l’État est très fort. Certes ces deux mouvements jouent leur représentativité et leurs leaders tentent directement de récupérer une partie du mouvement.

Mais cela pose la question fondamentale de nos modalités d’intervention dans les luttes et de notre attitude vis-à-vis du syndicalisme. Si l’on veut ou l’on dit vouloir défendre les personnes opprimées, exploitées, exclues à un moment ou à un autre, la question du regroupement se pose, quelle que soit la lutte.

Libertaires, nous devons lutter pour l’élargissement du front social :

  • Élargir la lutte au-delà des milieux radicaux sans faire croire que cette lutte soit capable de tout résoudre, quelles que soient les prises de positions. Ce constat pose de fait la question de la permanence et de la durée dans le temps de la lutte ; donc de l’organisation.
  • Nous associer de manières diverses qui dépendent souvent des réalités locales avec les syndicalistes. Nous devons dans l’immédiat nous associer pour contrer les intérêts et les pouvoirs du patronat.
  • Provoquer des prises de conscience. Au sein du mouvement syndical et associatif, nous devons montrer que notre but n’est pas le compromis. Mais dans la lutte nous devons agir avec nos idées mais aussi avec un souci d’unité et un respect des personnes. Nous ne pouvons pas nous auto-proclamer comme une avant-garde déversant sa vérité. À la tactique de l’ultra-radicalisme qui consiste à faire que, seuls entre radicaux, la révolution pourrait se construire, nous préférons militer avec des militants CGT chômeurs, AC !, pour résister au capitalisme et dans la lutte discuter, se confronter…

Nous devons nous inscrire pleinement dans ce mouvement car il dépasse largement un aménagement simple du salariat avec une réduction du temps de travail : il exprime le ras-le-bol d’une politique qui gère la misère.

Théo Simon