Suite à l’article « L’insoutenable légèreté d’EDF » de Sacha Kagan (ML nº 1103) portant sur le choix énergétique français du (presque) tout nucléaire, j’aimerai apporter un point de vue un peu différent quant à une des alternatives proposées pour la production d’énergie : la cogénération.
Choix énergétiques des pays occidentaux
Depuis 1945 et encore plus depuis 1973, les « puissances occidentales » ont du définir des stratégies propres dans leurs choix énergétiques. Il fallait pouvoir faire face à la demande intérieure tout en s’assurant un approvisionnement en combustible viable sur plusieurs décennies. En fonction du contexte économique et politique, chacune de ces « puissances » a donc développé une stratégie particulière. Ainsi, le nucléaire civil a pu connaître ses heures de « gloire », et ce en particulier dans les pays qui avaient développé le nucléaire militaire (c’est le cas de la France mais également des États-Unis).
Moyen de production permettant une indépendance énergétique espérée, le nucléaire civil nécessite cependant des investissements très lourds (ingénierie, construction, traitement des déchets, démantèlement des centrales, etc.) et constants sur plusieurs années. Seuls des États pouvant planifier leurs investissements au-delà de 10 ans et disposant d’une forte emprise sur la société ont pu continuer à développer le nucléaire civil.
Dans d’autres pays où les entreprises privées assurent la production d’énergie, le nucléaire civil a perdu du terrain face à l’utilisation de combustibles fossiles. Cette solution peut permettre, entre autres choses, de rentabiliser les investissements privés en moins de cinq ans, devenant ainsi plus « acceptable » aux yeux des entrepreneurs. Seul inconvénient dans cette logique économique, il faut être sûr de disposer de combustibles fossiles en grandes quantités et à un prix « acceptable ». Cette garantie peut être alors fournie par des États disposant de moyens de pression efficaces à l’égard des pays producteurs. Suivez mon regard…
Cogénération contre nucléaire ?
En revenant à l’article de Sacha Kagan, si la politique d’EDF en matière de nucléaire est effectivement inacceptable et si les pages publicitaires sur les effets positifs du nucléaire sont le pur produit d’une manipulation pour le moins malhonnête, il ne faut pas pour autant combler de louanges la mise en place de systèmes de cogénération (production simultanée d’électricité et de chaleur à partir de combustibles fossiles).
En effet, si la cogénération offre actuellement un des meilleurs rendements énergétiques parmi les systèmes de production, elle implique aussi :
- L’utilisation de combustibles fossiles. On méconnaît à l’heure actuelle l’état exact des réserves mondiales en gaz et en pétrole, mais elles ne sauraient être inépuisables… Par ailleurs, le commerce du gaz et du pétrole est l’une des sources majeures de conflits armés ainsi que de la mise en place et du maintien de régimes autoritaires dans les pays producteurs.
- Le développement de l’auto-production d’énergie en France. Dans le contexte européen actuel (démantèlement des monopoles publics, privatisation d’activités de service public), la cogénération permet l’ouverture du secteur de la production d’énergie (électricité notamment) à des investisseurs privés. Les installations de cogénération, qui peuvent être de taille bien plus modeste que des centrales nucléaires, offrent une rentabilité rapide. Et, ce d’autant plus qu’en France, pour des raisons écologiques et libérales, EDF est dans l’obligation de racheter l’électricité produite par cogénération (les conditions de rachat de l’électricité dépendent pour une grande part de l’efficacité du lobbying du secteur privé). On comprend alors mieux que des entreprises telles que la Compagnie générale de chauffe (Générale des eaux) ne restent pas inactives en matière de pression et de communication, quitte à emprunter pour l’occasion un discours écolo « relooké ».
Essentiellement pour ces deux raisons, il me semble que le (faux ?) débat cogénération/nucléaire ne relève pas simplement d’une opposition entre « antinucléaires » et « nucléocrates » mais également, en France, d’une opposition entre « privé » et « public ». Ce ne sont pas les écologistes (associations, partis ou organismes divers) qui peuvent peser lourd dans les discussions et proposer des alternatives, même si leur espace de parole a augmenté et si leurs thèses sont reprises par les entrepreneurs privés. Encore une fois, les choix énergétiques vont suivre les intérêts politiques et économiques des forces en présence dans chaque pays. De son coté, le consommateur particulier ne pourra ni décider, ni être complètement informé. à nous d’essayer d’accéder à l’information la plus variée et à nous de nous méfier de tous les discours.
Quelle production d’énergie humainement supportable ?
Comme cela a été dit et redit, en particulier par des écologistes politiques et/ou scientifiques (dont certains font partie de l’ex-AFME, ADEME maintenant), les solutions sont à rechercher du côté des énergies dites renouvelables (l’énergie éolienne connaît un certain élan aujourd’hui, tout relatif certes…) et de la baisse de la consommation énergétique.
Accusées depuis longtemps d’être peu rentables et insuffisantes, les énergies renouvelables se portent toujours presque aussi mal. La recherche dans ce domaine, il est vrai, ne dispose pas des moyens mirobolants de la recherche associée au nucléaire civil (il suffit de penser au CEA…). En plus, quel commerce peut-on faire avec des systèmes de production d’énergie fondés sur l’utilisation d’énergie naturelle disponible pour tous ?
À son tour, la baisse de la consommation énergétique n’est pas pour demain (à moins qu’il n’y ait une troisième crise mondiale du pétrole…). La politique d’économie d’énergie (dite aussi d’efficacité énergétique) gagne un peu de terrain mais bien moins que la politique productiviste et consommatrice sur laquelle reposent de nombreux États. Et le problème, me semble-t-il, est vraiment là. Seule une remise en question de la société de consommation permettrait d’enrayer la « gabegie » tant énergétique, qu’environnementale et surtout humaine.
Bruno Alonso