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À la petite semaine

La Serviette de plage

conte de printemps
Le jeudi 23 avril 1998.

Il y a six cent trente ans exactement, au cœur d’un printemps du Moyen Âge, un vaste mouvement de contestation radicale, issu lui-même de la révolte, un mois plus tôt, des étudiants d’une université de la banlieue nord de Jérusalem, embrasait la Palestine tout entière, entraînant dans la grève générale charpentiers et travailleurs du pays. Après deux mois d’une euphorie peu commune, cette révolution en marche devait mourir au fond des urnes, après moult trahisons. Cet épisode, peu connu, se trouve mentionné dans quelques rares ouvrages historiques sous le nom d’« événements de Mai 1368 ».

Comme nombre de ses contemporains, un acteur des dits événements, aux allures de baba-cool, déçu par leur issue, s’en alla soigner son spleen en bord de mer, du côté de la Galilée, voir si la plage se trouvait bien sous les pavés. Chaque jour, allongé sur le sable, un soleil sans pitié l’obligea, pour s’en protéger, à se couvrir d’une grande pièce de tissu. Le rayonnement était si intense et les heures passées là si nombreuses que l’empreinte de son corps y resta gravée.

Après maintes péripéties, la pièce de lin estivale finit, on ne sait comment, par échouer à Turin, où des petits malins, commerçants charlatans du Vatican, comprirent vite le profit qu’ils pourraient en tirer.

Appelée « saint suaire », la serviette de plage est exposée depuis quelques jours et jusqu’à la mi-juin dans une cathédrale de la capitale piémontaise. La foule de dévots qui défilent pieusement devant ce qu’on lui présente comme le linceul de leur crucifié ignore qu’il appartint en fait à un individu en vacances ayant, voilà bien longtemps, avec ses camarades révolutionnaires, arpenté les boulevards d’une métropole de Palestine au cri de « Ni Dieu ni maître ».

Des ennemis du carbone 14 prétendront que cette histoire est pure invention. Pas plus que leur annonciation, leur résurrection, leur ascension, leur visitation et, à Turin, leur saint chiffon.

Floréal