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Nouvelle loi sur l’immigration en Italie

Le jeudi 23 avril 1998.

J’écris ces notes à propos de la nouvelle loi sur l’immigration approuvée définitivement par le Sénat le 21 février avec un grain d’amertume qui me pique le palais. Pour un pays comme le nôtre qui a pour ainsi dire inscrit dans son code génétique le sens, l’histoire, la douleur, les difficultés, la fuite de millions d’hommes et de femmes contraints par la pauvreté et la discrimination à émigrer durant un siècle, et jusqu’aux années 60, cette loi est un élément ultérieur d’affront et d’offense. De la part d’un pays, enfin, qui a éparpillé 26 millions d’émigrants dans la période qui va de 1861 à 1960, n’importe quel individu de bonne conscience devrait s’attendre à un minimum de clémence de la part des classes dirigeantes.

De plus, j’écris ces notes le jour où le plus important quotidien de Livourne rapporte en rubrique nationale et locale, avec une importance particulière, la nouvelle d’une agression plutôt bizarre. Un para aurait été agressé et balafré par un laveur de vitres pour l’unique raison que l’extra communautaire aurait refusé les 500 lires d’aumône que le brave militaire lui aurait consenties pour le service rendu. Article d’un racisme particulièrement nauséabond. Dans la ville rouge, démocratique, tolérante qu’est Livourne, la presse se livre à une concurrence avec les croisés des ligues du Nord (ou avec celles non moins violente d’Allianza nazionale au sud) sur le terrain du racisme. Le pouvoir des classes dominantes varie les couleurs de sa casaque mais non les orientations de sa pensée.

La pensée unique contre l’immigration

Et c’est justement en continuité avec la pensée unique qui traverse tous les sigles parlementaires que se situe la loi sur l’immigration. Sur l’ensemble des 49 articles qui constituent le squelette de la loi, vous ne trouverez pas une ligne relative à des arguments du type politique d’accueil et d’intégration, mécanismes d’adaptation de l’organisation du savoir par rapport à une probable société multiethnique ; égalisation des conditions de travail entre les extracommunautaires et les autochtones, politique de naturalisation.

La principale préoccupation du gouvernement est la fermeture des frontières, la réglementation et la surveillance des flux migratoires, la militarisation du territoire, la coordination avec les autres polices de la Forteresse Europe.

Si bien que cette loi n’est pas autre chose qu’une mauvaise loi de répartition des flux migratoires. L’article 19 affirme explicitement : « L’entrée sur le territoire de l’État pour des motifs de travail dépendant, même saisonnier, et de travail autonome, s’effectue dans le cadre des quotas d’entrée fixes » chaque année par des décrets signés par le président du Conseil « sur la base des critères et autres indications » (art. 3, alinéa 4) contenus dans le document programmatique élaboré par le gouvernement tous les trois ans. Le fait que ce soit justement le ministre de l’Intérieur qui doive chaque année présenter « un rapport sur les résultats atteints au travers des mesures d’application du document programmatique » (art. 3 alinéa 1) en dit long sur la volonté des classes dirigeantes actuelles de tracer « les interventions publiques visant à favoriser les relations familiales, l’insertion sociale et l’intégration culturelle des étrangers résidents en Italie » (art. 3, alinéa 3).

Si bien que l’article 48, relatif à la couverture financière nécessaire à l’application de la politique des flux migratoires est un chef-d’œuvre d’hypocrisie. Cet article fixe à 42 500 millions la charge que l’État doit supporter en 1997, à 124 000 millions la dépense pour chacune des années 1998 et 1999. Chiffre vraiment dérisoire si on le compare avec ce que coûtera l’entrée de pèlerins en Italie l’année du Jubilé ou avec les sommes astronomiques affectées aux dépenses militaires, ou encore avec la razzia opérée par les partis pour leur financement soustrait au Trésor public.

Renforcement de l’État policier

Il faut ajouter que la plus grande partie du financement pour la politique d’immigration servira à développer les préfectures de police et les organes de police. En 1998 par exemple, il est fixé que 8 milliards serviront pour « doter les préfectures de police qui ne disposent pas encore du matériel technologique nécessaire à la transmission par voie télématique des données d’identification personnelle ainsi que des opérations nécessaires pour assurer le lien entre préfectures de police et le système d’informations de la Direction centrale de la police criminelle. »

Ce n’est pas tout. Jusqu’ici les États d’où viennent les immigrés sont dépourvus d’instruments de contrôle et de surveillance, ce sera la tâche du ministère de l’Intérieur et de celui des Affaires étrangères de céder « à titre gratuit aux autorités des pays intéressés » ces biens et ces « appareils particulièrement adaptés » afin d’« accélérer l’exécution des contrôles et la délivrance des papiers » (art. 9, alinéa 4). Ceci constitue un passage obligatoire de la généralisation de la surveillance au niveau international. La condition de l’émigrant extracommunautaire va être profondément bouleversée par cette loi. Urbano, dans un article récent d’Umanita Nova disait justement « Et leur condition devient, par rapport à ces dernières années beaucoup plus dramatique parce que jusqu’alors un étranger chassé d’une frontière pouvait chercher à entrer dans n’importe quel autre pays européen mais aujourd’hui grâce à l’Unité européenne, celui qui est fiché en Italie comme immigré clandestin sera arrêté s’il essaie d’entrer en France ou en Allemagne car s’y applique aussi le fichage italien et vice-versa ».

Renforcement de l’Europe policière

Cependant les changements ne concernent pas seulement ce qui se passe aux frontières en conformité des accords de Schengen.

À l’intérieur, le pouvoir reconnu aux forces de l’ordre est absolu. Non seulement tout passe par les préfectures de police (attribution et révocation des permis de séjour, application des directives contenues dans le document programmatique triennal et dans celui d’évaluation annuel rédigé par le ministre de l’Intérieur). Mais la situation de précarité de l’immigré est sanctionnée ultérieurement du fait que « l’autorité de sécurité publique, quand les raisons sont fondées, réclame aux étrangers des informations et des actes attestant de la disponibilité d’un revenu, du travail ou d’une autre source légitime, suffisante pour sa propre subsistance et celle des membres de sa famille vivant avec lui sur le territoire de l’État. » (art. 6, alinéa 4)

Supposons qu’un immigré extracommunautaire ait réussi à obtenir le permis de séjour et à s’insérer dans le monde du travail. Puis il est licencié, parce qu’il a peut être participé à une réunion syndicale, à une lutte pour l’augmentation des salaires avec ses collègues de travail autochtones et qu’il soit à la recherche d’une nouvelle embauche. À ce moment là, s’il se fait attraper par la police, il risque le retrait de son permis de séjour et le retour dans son pays d’origine parce qu’il ne peut prouver comment il vit.

Si nous utilisons un mécanisme emprunté aux mathématiques pour donner le sens de notre discours, nous pouvons dire que cette loi est à la civilisation contemporaine du travail ce qu’est cette affirmation de Vittorio Emmanuel Orlando face à l’organisation du travail en Italie au XIXe siècle. Ainsi s’exprimait un des plus importants dirigeants libéraux de l’époque dans les débats sur le travail des enfants en 1881 : « On parle tant des enfants dans les mines et c’est pitié, certes, de voir ces pauvres petites créatures gémir et peiner sous le poids impitoyable du métal. Mais combien d’autres très chères et pauvres existences […] ne se sont-elles pas précocement éteintes victimes […] d’un morceau d’Homère ou d’une équation insoluble du second degré ? »

Sans-papiers de tous pays…

Pour ce qui concerne le chapitre des expulsions, cette loi assume totalement les éléments les plus odieux du décret Dini. L’expulsion est considérée comme une « mesure de sécurité », c’est-à-dire comme une condamnation non définitive. C’est le préfet de police qui peut entamer la procédure même si « l’étranger est suspect » et elle devient opérationnelle grâce au juge d’Instance. L’expulsion concerne tous ceux qui n’ont pas demandé le permis de séjour, ne l’ont pas renouvelé ou simplement n’ont pas été régularisés. En plus, elle concerne tous ceux qui sont politiquement refusés. Si l’expulsion ne peut être immédiatement exigée, s’ouvrent les portes de modernes camps de concentration qui, en régime démocratique sont définis comme « camps de séjour provisoire ». C’est la tâche du juge d’utiliser la force publique pour prendre « des mesures de vigilance » afin que l’étranger ne s’éloigne indûment du centre. (art. 12, alinéa 7)

Me vient à l’esprit une belle page de Pennac qui ouvre La Fée carabine pour exprimer l’attitude du gouvernement envers le problème de l’immigration. Il s’agit du récit du meurtre de l’inspecteur de police Vanini. Le blondinet frontalement national qui ne voulait pas être traité de disciple de Le Pen parce qu’il était raciste. Le gouvernement Prodi lui aussi semble avoir « appris, il y a si longtemps, la grammaire » qu’il ne s’agit pas « d’un rapport de cause mais de conséquence ». Il semble avoir finalement compris, de façon frontalement nationale que l’immigration est un danger objectif, que les étrangers sont jetés dehors d’abord pour le discours « sécurité publique » et ensuite pour le chômage. Il a tout à fait raison Pennac : « quand on a autant de bonnes raisons d’avoir une opinion juste, il ne faut pas se la laisser souiller par des accusations de racisme. »

Nous n’attendrons plus qu’une singulière petite vieille se dirige, le bras pointé vers lui « comme si elle le désignait du doigt sinon qu’à la place de l’index, la vieille femme brandissait un P 38 d’époque. » Et quand la petite vieille appuya, toutes les idées du blondinet, pardon, du gouvernement, s’éparpillèrent encore « formant une fleur gracieuse dans le ciel hivernal. »

Luca Papini
Umanita Nova (15 mars 1998)