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Grenoble

C’est reparti comme en 14 !

les chômeurs occupent la place de Verdun
Le jeudi 14 mai 1998.

Profitant de la manifestation du 1er Mai, le Mouvement des chômeurs de l’Isère a entamé une nouvelle action. En installant un campement devant la préfecture, c’est l’État qu’ils interpellent. Nous avons rencontré Christian (Comité de chômeurs de la région grenobloise et militant d’AC !), Monique et Thierry, chômeurs sans étiquette et Jean-Pascal, de la CNT.



ML : Après un mois de luttes et d’occupations suivi d’une période d’apparente inaction, où en est le mouvement des chômeurs à Grenoble et que s’est-il passé depuis l’évacuation de la mairie début février ?

Monique : Il n’y a jamais eu d’inaction ! Ce n’est pas parce qu’on ne passe pas à la télé qu’on ne fait pas d’actions !

Christian : Après l’évacuation de la mairie, il y a eu la période des élections. Quand le député-maire Destot (PS) a fait campagne dans le quartier Saint-Bruno, on est allé le voir tous ensemble pour lui dire ce qu’on pensait de sa démarche d’homme politique, de nous avoir fait expulser par des policiers municipaux, dont ce n’est pas le rôle, en plus. Puis nous sommes retournés à l’annexe du Conseil général rue Jean Bocq (occupée depuis mi-janvier — N.D.L.R.) où nous sommes restés quelques semaines encore. Nous avons pris la décision d’en partir parce que cela devenait physiquement et psychologiquement dur. Nous nous sommes retrouvés à la Bourse du travail, dans le hall, où nous tenons toujours une AG par semaine. Et nous avons décidé d’occuper cette place de Verdun le 1er mai, parce que c’est une journée internationale de lutte contre le capitalisme, le racisme et le fascisme, et qu’il nous semblait intéressant que le mouvement des chômeurs se fasse entendre de nouveau ; ce lieu est symbolique puisque nous sommes devant la Préfecture et qu’on peut interpeller les gens qui sont au pouvoir. Depuis deux mois, il ne s’est pas passé une semaine sans action, même si les médias ont essayé d’étouffer les choses. Le mouvement est il est vrai un peu éparpillé, mais dès qu’une action est décidée, on revoit les gens tout de suite : le réseau, la solidarité marchent, l’info circule. Tous ceux qui se sont battus sont toujours là ; des nouveaux arrivent, petit à petit, bien qu’il soit difficile pour ceux qui sont au chômage de se motiver à se battre.

Thierry : Il y a une nouvelle dimension au mouvement à savoir une coordination au niveau du département, avec ceux de Bourgoin-Jallieu, de la Tour du Pin, de Voiron, du Vercors, etc. Cette action a été préparée ensemble, et le 14 mai se tiendra la troisième réunion de la coordination départementale, ici.

Jean-Pascal : Le lendemain du deuxième tour des élections, nous sommes allés avec Ras l’front au meeting de la gauche plurielle pour foutre le bordel : ils n’avaient pas pensé à inviter le mouvement des chômeurs… Par ailleurs, nous menons des actions symboliques par solidarité avec les travailleurs allemands, qui manifestent à chaque annonce des chiffres du chômage ; à la clôture du festival de jazz, nous avons fait un discours sur l’accés à la culture conjointement avec les intermittents du spectacle, et nous avons récolté 1600 F ; il y a eu une occupation du rectorat avec les maîtres-auxiliaires en soutien à deux copains « démissionnés » des listes de maîtres-auxiliaires ; on a fait du grabuge à la commission de radiation des ASSEDIC qui se réunissait à Europole, qui est en quelque sorte l’antenne locale de la World-Company, tout un symbole… Toutes ces actions ne sont pas forcément médiatisées parce que c’est passé de mode et que ça n’intéresse plus personne.

ML : Quels sont vos rapports avec les diverses organisations politiques et syndicales locales ?

Christian : Je pense parler au nom de tout le monde en disant qu’on n’attendait rien des politiques. On a posé des revendications et on sait bien que c’est une question de rapport de forces ; tant que ce rapport de forces ne sera pas instauré avec les gens concernés, on ne pourra pas faire évoluer les choses. Jospin table sur le pourrissement de cette lutte, mais il ne faut pas qu’il compte là-dessus : les gens sont à bout et sont déterminés. Ils faut que les gens se rendent compte qu’il faut mettre un frein à ce capitalisme… anarchique (rires) !

ML : Quelles sont les perspectives du mouvement ?

Thierry : Il y a 3 semaines, nous étions 2 Grenoblois à Bruxelles pour les assises des Marches européennes. 400 chômeurs de 15 pays européens et un pays africain étaient représentés. Le 8 mai se tient une réunion franco-allemande à Strasbourg pour une Europe sociale, pour ne pas se faire bouffer par l’Euro. Il y aura des manifestations contre le sommet européen de Cardiff du 15 juin. Des cristaux sont en train de prendre dans tous les pays avec deux mots d’ordre : la réduction massive du temps de travail sans perte de salaire, de pouvoir d’achat, sans flexibilité ni annualisation, et la création d’un revenu individuel garanti pour les chômeurs qui permette l’accès au logement, à la santé, à l’énergie, aux moyens de communication, de transport. Ce sont des perspectives à long terme.

Christian : Avant de parler de perspectives, il faut revenir sur l’historique du mouvement. Ce mouvement constitue une première pour la classe ouvrière puisque c’est la 1ère fois que des chômeurs, des précaires, des exclus luttent avec l’aide des travailleurs et des organisations syndicales. Même celles qui ne sont pas là pour l’instant voient leur militants de base, de tout bord, de toute étiquette, interpellés par ce mouvement. Pour ce qui est des perspectives, nous avons plein d’idées. ça ne fait que commencer ; nous sommes un bébé de quatre mois, et on va vivre vieux !

Monique : Je voudrait apporter une autre dimension à ce mouvement : depuis sa création, une chaîne de solidarité s’est créée au niveau des chômeurs et précaires qui sont des gens fragilisés par les problèmes de vie quotidienne. La solidarité est importante ; on apprend à se connaître et on sait qu’il y a des gens sur qui on peut vraiment compter quand on est dans la merde.

Propos recueillis par le groupe Jules-Vallès


Pour joindre le Mouvement des chômeurs : Bourse du travail, 32 avenue général-de-Gaulle 38100 Grenoble ou écrire au groupe Jules-Vallès qui transmettra (c/o La Faille BP 2301 38033 Grenoble cedex 02).