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La corbeille aux idées

De la préhistoire au péché originel

octobre 1954.

La publication d’un ouvrage de grand vulgarisation d’André Senet : L’Homme à la recherche de ses ancêtres, chez Plon, attire l’attention du public sur des problèmes fort mal connus, même des gens cultivés. J’ai été souvent surpris, au cours de mes rencontres avec d’excellents universitaires, de constater le vague de leurs connaissances touchant les premiers hommes, et comment ils faisaient mal la distinction entre l’homme de Néanderthal et ceux de l’âge du Renne. La plupart ignoraient, du reste, qu’il y eut à cette époque trois types, souches de trois races : blanche, jaune et noire, qui persistent de nos jours sous les formes multiples des sous-races.

J’eus un jour, à Lyon, un contradicteur bien-pensant, agacé de ce que j’avais pu dire des fables de la Bible, qui crut m’ennuyer en observant que j’avais négligé les Peaux-Rouges. J’eus quelque peine, en expliquant les modalités de peuplement de l’Amérique du Nord, à la fin seulement du Paléolithique, à lui faire accepter que les Amérindiens fussent de race mongoloïde.

Fossiles contre fossiles

Pourtant, la préhistoire a plus de cent ans. C’est en 1835, qu’un jeune médecin, le docteur Casimir Picard, présentait à la Société d’émulation d’Abbeville, présidée par le directeur des douanes Boucher de Perthes, poète et écrivain dilettante, ses premières remarques sur le caractère des « pierres taillées », silex jusque-là considérés comme des « céraunies » ou pierres de feu, qu’on croyait avoir été façonnés par la foudre. Quand il mourut, à 35 ans, en 1841, il avait si bien instruit et convaincu Boucher de Perthes que le fougueux douanier allait devenir le père d’une science entièrement nouvelle, mais qu’il eut grand peine à imposer.

En 1846, l’Institut dédaigna son manuscrit : Antiquités celtiques et antédiluviennes. En 1847, il refusa le legs de ses collections. Il fallut qu’un docteur Rigollot, sceptique mais curieux, s’en allât faire des fouilles à Saint-Acheul dans la Somme, y découvrit des vestiges dits, depuis, « acheuléens », pour que son mémoire de savant convaincu commençât de retenir l’attention.

Ce n’est qu’en 1859 que Boucher de Perthes obtint l’acquiescement d’une mission anglaise où figuraient John Evans, alors tout jeune, et Lyell qui écrivit la relation de la mission. La même année, l’Académie des Sciences fit enfin état des observations d’Albert Gaudry qui devait se placer parmi les plus marquants de nos paléontologistes.

Cela n’empêcha pas le docte aréopage, jaloux sans doute de conserver un premier rang dans le monde des fossiles, de refuser l’année suivante une communication d’Édouard Lartet sur L’Ancienneté géologique de l’espèce humaine dans l’Europe occidentale. Édouard Lartet obtint bientôt la célébrité par ses travaux sur les premières découvertes faites au pays électif de la préhistoire, dans la vallée de la Vézère, aux environs immédiats du village des Eyzies. En 1869, il était nommé professeur au Muséum et mourait quelques mois plus tard. Il avait pu connaitre, en 1868, la découverte du Cro-Magnonnais dont son fils avait recueilli les ossements.

Une galerie des ancêtres

La partie était gagnée. Dans le monde scientifique alerté, les recherches et les découvertes se multipliaient. En 1855, c’est le crâne de l’homme de Néanderthal, vieux de quelque cent mille ans, dont on veut faire un anthropoïde anormal. En 1908, on en trouva un squelette complet à la Chapelle-aux-Saints et quantité d’autres par la suite. En 1858, à Saint-Girons, Édouard Lartet exhumait un singe du pliocène (15 millions d’années) dont les caractères indiquaient une possible évolution vers l’homme.

Le coup de tonnerre se produisit en 1868 quand, aux Eyzies, on déterra cinq squelettes de type moderne bien qu’ils fussent enfouis dans un terrain du paléolithique supérieur, c’est-à-dire de vingt à quarante mille ans de nous. On en trouvait six autre à Menton en 1872 et 1873, du même type que ceux du Cro-Magnon, ancêtres des races blanches. L’homme de Grimaldi (une vieille femme et un enfant) apparaissaient, à Menton encore, en 1901. C’était un négroïde. Comme on avait déjà mis à jour, en 1888, l’homme de Chancelade, un mongoloïde, nous avions, dans ces mêmes couches du paléolithique supérieur, les ancêtres directs des trois races actuelles.

Ils étaient de quelques dizaines de milliers d’années plus anciens que ne l’auraient été Adam et Ève d’après les commentaires de la Bible. Celà dérangeait bien un peu certaines habitudes de penser et de former la pensée. Mais, après tout, ce pouvait être une simple question de dates que la géologie et la paléontologie réunies ne pouvaient, elles-mêmes, déterminer qu’à quelques milliers d’années près.

Où les choses se gâtèrent, c’est en 1890 et 1891, quand Eugène Dubois découvrit à Java deux crânes et, en 1892, un fémur de pithécanthrope. C’était une sorte de grand singe qui pouvait dériver du dryopithèque et semblait tourner à l’homme. Sa capacité crânienne était de 900 cm3 alors que celle des singes anthropoïdes est de 600 et celle de l’homme moderne de 1 400. On discuta, bien sur. Mais, en 1903, on trouva près de Pékin des molaires de son cousin, le Sinanthrope qui, depuis, a fait des petits si j’ose ainsi écrire, puisqu’à partir de 1927 on en trouva tout un stock avec le concours, marqué de quelques ironie, du R.P. Teilhard de Chardin.

Il y a singes et singes

Il n’y avait plus qu’à se réfugier dans le doute que laissait l’absence du fameux chainon et, à se moquer des hurluberlus qui s’intéressaient sérieusement à ces histoires d’hommes-singes. Pourtant, on découvrit les chainons. Ce fut la mâchoire de Mauer (1907), l’homme de Piltdown (1908), discuté mais dont on vient de déterminer, en décelant le truquage de la mâchoire, l’âge et l’authenticité de son crâne. D’autres encore.

Une chaine discutable, possible cependant, s’établissait. Entre les deux guerres et ces années dernières, les découvertes, en Afrique, d’une série de singes du tertiaire, à dents humaines, et surtout de l’Australopithèque aux caractères déjà hominiens, permettent d’envisager maintenant plusieurs filiations parallèles dont l’une pourrait aboutir au Néanderthalien dont la race se serait éteinte sans successeur, et l’autre à l’homme actuel, à moins que celui-ci ne procède d’un des deux types de Néanderthaliens connus.

Ce sont problèmes que la science résoudra à force de fouiller. Dès à présent, les enchainements, quels qu’ils soient, sont évidents. Nous venons des singes anthropoïdes du tertiaire et je ne comprends pas bien le sophisme conformiste que reprend M. André Senet quand, après avoir clairement montré comment nous sommes issus d’évolutions partant soit du dryopithèque, soit du limnopithèque, il écrit que personne ne soutient plus que l’homme descend du singe. C’est jouer sur les mots. Des singes « actuels », certainement pas. Puisqu’ils sont nos cousins ils ne peuvent être nos pères. Toutefois, nous avons un ancêtre commun, le propliopithèque de l’oligocène-miocène dont dérive le pliopithèque (miocène) qui peut aboutir au gibbon. Son cousin, le dryopithèque (miocène) donne probablement naissance à deux branches (lui ou l’un de ses frères), d’une part les grands singes dont certainement le chimpanzé, d’autre part les pithécanthropes et leur suite jusqu’au néanderthalien et, peut-être, à l’homo sapiens. Enfin l’autre cousin, le limnopithèque qui conduit à l’australopithèque et, selon les points de vue, par l’homme de Mauer et celui de Piltdown, à l’homo sapiens, c’est à dire à nous-mêmes.

Qui a commis le pêché ?

À la vérité, quand les faits ne peuvent plus demeurer cachés, il importe de laisser un peu de confusion dans les esprits. Combien de gens par le monde entreront dans le détail de nos origines ? Il est au contraire facile de dire et de retenir cette formule de vérité maquillée : « l’homme ne descend pas du singe ».

On pourra aussi regretter que M. André Senet, dont la documentation est cependant abondante, n’ait pas tenu compte dans la détermination même approximative des âges et des durées, des toutes dernières données qui reculent sensiblement les premiers anthropiens et les premiers hominiens dans le temps. On ne lui en fera pas autrement grief en une matière que ne cesse d’évoluer. Tant de points sont encore à fixer qu’on peut bien procéder par transition afin de laisser aux âmes pénétrées de la foi dans les Écritures le temps de se ressaisir.

Un grand et lent travail se fait actuellement dans le monde de l’intelligentzia d’Église. Il s’agit d’achever une mise au point des Écritures, afin de transformer en symboles toutes les données concrètes de la Génèse ce qui, finalement, servira à démontrer que les formalismes de l’Église - de toutes les Églises - auront, une fois de plus, entravé inutilement les recherches positives.

La création d’Adam et Ève est, d’ores et déjà, tenue pour symbolique par les théologiens avertis. Mais je leur pose une interrogation. Si le mythe du premier couple n’est qu’un mythe, qui a commis le pêché originel ? Et si l’on me répond : « L’un ou plusieurs des tous premiers hommes qui ont atteint à la qualité d’homo sapiens », je demande encore : Comment le sait-on ? Qui nous l’a rapporté ? Pascal écrivait que les Hébreux pouvaient témoigner dans la Génèse parce qu’ils avaient vécu près de la création. Aujourd’hui, les quelques trente mille ans qui se sont écoulés entre l’apparition des hommes de l’Aurignacien et la constitution du peuple juif nous paraissent un temps bien long pour un rapport fait de visu, voire de auditu.

Cette question peut sembler plaisante. C’est pourtant sur elle que repose toute la morale chrétienne que, même incroyants, nous pratiquons peu ou prou, que nous subissions en tout cas dans les lois, les mœurs, les censures officielles et les censures privées.

Pour nous qui cherchons à instaurer une orale naturelle, biologique et, par conséquent, rationnellement évolutive, ce petit détail venu de la préhistoire n’est pas sans prolongements.

Charles-Auguste Bontemps