Si une époque ne peut fournir qu’une seule peinture, si les groupes ne peuvent être définis que lorsqu’ils se sont accomplis, c’est-à-dire déjà sur le déclin, il est néanmoins possible de fixer l’état des mouvements picturaux d’un moment, de faire le point.
Les grands maitres sont, à des époques successives, appréciés pour des raisons différentes. Les contemporains de Poussin ou de Velasquez (c’est à dessein que je prends des peintres aussi différents dans la forme) ne voyaient pas dans leurs œuvres ce que nous y voyons maintenant ; de la même façon, dans quelques décennies, Picasso ou Matisse ne seront pas jugés d’après nos critères actuels.
Et cependant, Poussin, La Tour ou Ingres sont aussi présents que les artistes contemporains : ils possèdent ce que nous appellerons une « présence traditionnelle ».
De là, peut-on définir les courants de la peinture actuelle ?
Différentes écoles se chevauchant, se contredisent ou s’accordent. Elles ne sont trop souvent que la réunion de solitudes impuissantes.
Si les deux présences supérieures, en dehors de tout mouvement, parce que complets en eux-mêmes, demeurent Picasso et Fernand Léger, qui a-t-il ensuite ?
Nous pensons qu’il existe trois peintres qui ont dépassé le stade des recherches vaines et posé des jalons sûrs, d’après lesquels ils peuvent avec raison montrer une œuvre.
Ce sont Tal Coat, dont les dernières expériences un peu décevantes n’empêchent pas l’ensemble de des toiles de montrer une attitude picturale intéressante, Pignon, dont l’œuvre dénote une parfaite charpente, une grande solidité, enfin, Borès, le magicien, maitre de sa magie.
Derrière eux, une foule de groupes aux prétentions diverses, aux élans plus ou moins ordonnés s’essoufflent.
Les Delaunay, les Gleizes, ont malheureusement fait école.
Dans cet imbroglio se débattent les « tachistes », les peintres de la « réalité poétique », et autres plaisantins abstraits , tel Poliakof ou Arp, ce dernier se faisant passer pour sculpteur quand on parle de peinture et peintre dès qu’il est question de sculpture.
En résumé, nous devons progresser très lentement, dans nos observations.
L’erreur du public est d’attendre des changements tous les cinq ans, alors que la peinture marche par siècle.
À la fin de cette année, qui a vu disparaitre Derain, peintre indiscutable, parce qu’en dehors de toutes les impasses, de tous les pompiérismes (Kandinsky vaut Bonnat), seule la qualité doit nous servir de base à des jugements présents et futurs, qualité qui est le résultat de l’attitude du peintre vis-à-vis des problèmes picturaux éternels, et la tradition, cette tradition qui veut qu’aujourd’hui, Pierro de la Francesca ou La Tour paraissent des contemporains.
Frank Lecocq