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Les Dessous du chiraco-pacifisme

Le jeudi 3 avril 2003.

Le gouvernement français s’est fait le héraut d’une solution pacifique avant l’offensive militaire anglo-américaine en Irak. Bien qu’elle ait finalement échoué, nous n’allions pas dédaigner cette position si elle permettait de sauver des vies humaines et d’empêcher une escalade de conflits. Cela dit, il faut s’interroger sur les raisons du chiraco-pacifisme pour comprendre les enjeux et éviter certaines désillusions. Cinq facteurs se dégagent, tous liés les uns aux autres.

1. L’alliance historique entre les États français et irakien. Leurs intérêts économiques (ventes d’armes, travaux publics, etc.) et singulièrement pétroliers (les fameux contrats à venir, les promesses) y prédominent.

2. La recherche de l’entente avec les pays arabes, qui comprend la question d’Israël. Depuis Charles de Gaulle, la droite s’est montrée plutôt pro-arabe, et la gauche plutôt pro-israélienne. Le clan mitterrandien a pris position en faveur d’Israël ou du sionisme. La guerre du Golfe de 1990-1991 a été soutenue par le président Mitterrand et le gouvernement Cresson, à l’exception d’un ministre démissionnaire, Chevènement, lequel est précisément proche d’une droite gaullienne et nationaliste. Inversement, Chirac a multiplié les gestes en direction des Palestiniens. Bien sûr, ce positionnement bouleverse les schémas de ceux qui peuvent encore penser que toute lutte de libération nationale, comme celle des Palestiniens, se place ipso facto sur le chemin du socialisme.

3. L’État et les entreprises françaises sont menacés par leurs concurrents américains dans leur pré carré, l’Afrique. Depuis le retrait soviétique, la puissance états-unienne ne cherche qu’à s’y installer davantage, en boutant les anciennes puissances colonialistes comme la France. De l’Algérie, avec un islamisme soutenu par la CIA américaine, jusqu’à la Côte d’Ivoire actuelle, les tensions participent de cette compétition. Les médias français, y compris le Monde diplomatique comme l’a souligné le dernier numéro des Temps maudits, se montrent pourtant très discrets sur la Françafrique. Chirac n’a pas hésité à faire donner la troupe en Côte d’Ivoire, et les arguments alors évoqués ont presque été les mêmes que ceux de l’administration Bush pour envahir l’Irak. Depuis, silence médiatique !

4. La compétition entre l’euro et le dollar. Les États-Unis vivent aux crochets du monde entier grâce au pompage du crédit, d’où des tensions. Chirac et Schröder ont engagé un bras de fer entre les pays de la zone euro et l’Amérique. En France, les dirigeants savent que la situation socio-économique est mauvaise et ils ne veulent pas se retrouver dans une configuration du type novembre-décembre 1995 avec un pays au bord de la grève générale, surtout s’il fallait payer la guerre comme en 1990-1991. Or le Royaume-Uni, bien que dirigé par un travailliste, surtout par un travailliste, même light, car on sait que la gauche est toujours appelée pour faire le sale boulot, n’a pas rejoint les douze pays de la zone euro. Il a depuis belle lurette choisi son camp, cheval de Troie des États-Unis qui ne veulent pas d’une Europe trop forte. Cela dit, l’unité politique européenne n’a pas été coulée par les positionnements pro-Bush de Blair, Aznar ou Berlusconi. Non seulement elle n’a jamais vraiment existé mais elle n’est pas l’objectif de l’Union européenne qui, derrière les falbalas d’une virtuelle Constitution européenne, demeure économique : la libre circulation des marchandises et des capitaux.

5. Des raisons de politique intérieure. Chirac sait la nature de son élection du printemps dernier. Pour rester au pouvoir et effacer au passage les vilaines ardoises, le recours à la politique extérieure est une vieille recette. Après avoir vu des jeunes Beurs voter et défiler pour lui, il reçoit à nouveau leur soutien pour l’Irak, tout en envoyant Sarkozy donner de la chasse aux sans-papiers : c’est tout bénéf’, c’est magique ! S’ajoute la cerise sur le gâteau : l’approbation de l’électorat de gauche qui, au vu de la politique sociale, doutait déjà du curieux passe-passe ayant consisté à donner un score soviétique à Chirac pour mieux lui ôter toute légitimité, et qui est en train de ravaler sa honte. En vieux renard politicien, Chirac a excellemment manœuvré. Évidemment, il ne faut pas rappeler que Le Pen et le Front national sont sur la même position que lui à propos de l’Irak, cela ferait désordre…

Malgré les apparences, la marge de manœuvre des opposants à la guerre est étroite. Dès le début, Raffarin et Sarkozy ont annoncé qu’ils ne toléreraient aucun débordement. L’agitation de quelques cohortes criant : « Allah akbar ! » peut leur donner le prétexte pour serrer la vis. Le belliciste UMP Pierre Lellouche arpente à nouveau les plateaux médiatiques. Des articles du Monde calomnient l’histoire du pacifisme, en oubliant bien entendu de parler d’antimilitarisme. Quant à la gauche, elle opère de façon habituelle en poussant les jeunes à défiler, ce qui est certes encourageant en termes d’engagement politique, mais elle ne donne guère d’autres perspectives que de marcher dans la rue, ce qui finira par lasser. Les industriels de l’armement français peuvent se frotter les mains. D’ailleurs, la mémoire d’un marchand de canons qui vient de décéder est saluée par la clique de l’élite politico-médiatique. Même Bernard-Henri Lévy s’est fendu d’un panégyrique dans Paris-Match. C’est dire !

Philippe Pelletier