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Quelles améliorations pour les Indiens au Mexique ?

Le Combat occulté des femmes de Loxicha

Le jeudi 11 janvier 2001.

La lutte pour la possession des terres de la région de Loxicha [1] dans l’État de Oaxaca, au sud-ouest de Mexico, a provoqué plus de 350 morts en 20 ans. Depuis les années 70, la persécution militaire est constante. Mais il y a quatre ans, le harcèlement par l’armée et la police s’est intensifié et la situation à Los Loxicha est aujourd’hui comparable à celle que vivent les habitants du Chiapas, c’est la « guerre de basse intensité [2] ».

Le gouvernement justifie l’oppressante présence militaire par l’apparition d’un groupe armé le 26 août 1996, l’Ejercito popular revolutionario (E.P.R., Armée populaire révolutionnaire) a attaqué ce jour-là la Crucecita, à Huatulco, dans l’État de Oaxaca. Cette première attaque de l’E.P.R. a fait un mort, Fidel Martinez, le régisseur d’une hacienda de la municipalité de Loxicha. Le 29 août, une seconde attaque a lieu, qui fait cette fois douze victimes. La répression qui s’abat alors sur la région de Los Loxicha, peuplée en majorité par des Indiens zapotèques, est terrible. L’armée mexicaine, la police judiciaire, la police préventive de l’État de Oaxaca et selon des témoignages, des agents du F.B.I., envahissent les communautés, procèdent à des détentions arbitraires, à des tortures et à des assassinats. Sans preuves, plus de 100 hommes sont incarcérés et condamnés à de lourdes peines de prison.

Le 10 juin 1997, les familles des prisonniers décident d’installer un planton sur le parvis du palais de gouvernement de Oaxaca pour réclamer la libération de leurs proches injustement détenus. Depuis trois ans, ces femmes et enfants maintiennent le planton et, petit à petit, des libérations sont obtenues faute de preuves.

Pour comprendre ce qui a pu provoquer cette escalade de violence, nous nous sommes rendus en août 2000 sur ce planton et Mme Genova Garcia Luna, au nom de l’Union de pueblos contra la repression y la militarization de la region Loxicha, a accepté de répondre à nos questions.

ML : Genoveva, j’aimerai que vous racontiez l’histoire du village de Loxicha.
Genoveva : Le gouvernement et les caciques, propriétaires terriens exerçant un pouvoir économique, militaire et politique sur la population, nous accusent d’appartenir à un groupe armé qui s’appelle l’E.P.R. À l’origine, le problème vient des caciques qui sont originaires d’autres régions et qui, depuis plusieurs années, depuis 1980, entrent dans notre région.
Les caciques ont commencé à s’emparer des terres de ceux qui ne savent pas parler espagnol, pour l’argent, les gens ont été obligés de donner leurs terres aux caciques, à leurs hommes de main. Nous sommes le peuple, nous sommes originaires d’ici et les caciques viennent d’ailleurs, de l’autre côté. Ils obligeaient les paysans à travailler sur leurs terres, ils ne les payaient pas ; les gens devaient endurer la loi des caciques. Les caciques ne voulaient pas les payer et si des personnes exigeaient d’être payées, et bien ils les tuaient, ils violaient les femmes.

Durant tout ce temps, les gens ne pouvaient plus supporter tant d’injustice. Les caciques étaient écoutés pendant les années 80, mais après le peuple a décidé de nommer son propre président, élu démocratiquement. M. Alberto Antonio devint président pour trois ans. Et, comme les communautés étaient totalement abandonnées, il décida d’écrire au gouvernement. Il demanda de l’aide pour les communautés, l’eau potable, des écoles pour les enfants, des points de santé.

Tous les trois ans, le président était ainsi élu jusqu’en 1996, lorsqu’apparut un groupe armé à Huatulco et à Oaxaca. Il fut dit que ces groupes étaient dirigés par le président des communautés. Au même moment, le président et toute la population participèrent à une marche pour réclamer des écoles. Le gouvernement, pour toute réponse, demanda à la population de créer une coordination. Toutes les personnes rentrèrent dans les communautés et, le 25 septembre 1996, l’armée mexicaine, la police judiciaire de l’État et le F.B.I. arrivèrent dans les communautés. Ils mirent des professeurs, des paysans et des étudiants en détention. Il y eut une très forte répression dans les communautés. En une journée, 50 personnes furent incarcérées et le président municipal est toujours en prison. Il est accusé d’appartenir à l’E.P.R. comme toutes les personnes incarcérées.

Ce sont le gouvernement et les caciques qui font circuler le bruit que nous appartenons à l’E.P.R. Nous n’avons jamais vu ces personnes, nous n’avons jamais vu les groupes armés. Nous ne faisons qu’attendre.

ML : Une grande partie des personnes originaires de Loxicha ne parle pas l’espagnol. Les actes d’accusation ont pourtant été validés, signés par les prisonniers…
G : Durant leur détention, la majorité des prisonniers ont été torturés, ils ont disparu deux-trois jours et ont fini par signer des feuilles en blanc. S’ils ne signaient pas ces actes d’accusation en blanc, ils étaient de nouveau torturés, alors ils le faisaient. Tous les prisonniers se sont vus obligés de signer ces feuilles d’accusation en blanc.

ML : Des rumeurs ont eu cours à propos des dons que ferait l’E.P.R. mais cela est en contradiction avec la situation économique des communautés.
G : Nous avons toujours eut conscience que si des groupes armés sont apparus dans différents États du Mexique, c’est en raison de la pauvreté qui existe partout dans le pays. Par exemple dans notre région, nous sommes totalement oubliés par le gouvernement, il n’y a aucune aide. En fait, il n’y avait aucune aide parce que depuis que nos proches ont été incarcérés, les infrastructures se sont améliorées : le gouvernement a construit des routes pour que l’armée arrive plus vite dans les communautés ! Voila ce que fait le gouvernement aujourd’hui. Pourquoi pas avant ? C’est la question : pourquoi le gouvernement ne nous aide-t-il que maintenant ? Nous exigeons donc une réponse et de l’aide du gouvernement. Et nous recevons des menaces, nous sommes harcelés par la police.

ML : Et vos terres ? Sont-elles laissées à l’abandon ou y a-t-il des personnes qui sont restées pour s’en occuper ?
G : Ici les femmes vont et viennent parce qu’elles ne peuvent pas se permettre de laisser leurs maisons à l’abandon. Si elles le faisaient, les caciques en profiteraient pour se les approprier. Depuis le début de la répression nous ne pouvons plus vivre en paix. Il y a plus de 250 ordres d’appréhension à l’encontre des paysans. Ceux qui font l’objet d’un ordre d’appréhension ne vivent plus chez eux, ils se cachent jour et nuit. S’ils rentrent seulement une heure ou deux dans leurs maisons, ils courent le risque d’être arrêtés ou tués. Dans les maisons, il n’y a plus que les femmes et les enfants.

Cela fait maintenant beaucoup de temps que nous luttons et nous avons obtenu la libération de 51 prisonniers. Avant ils étaient 135. Peu à peu, ils les libèrent faute de preuves, parce qu’ils n’en trouvent pas. Mais après ces libérations, ils ont condamné ceux qui restaient. Certains ont été condamnés à 40 ans de réclusion [3].

ML : Quelle est la forme d’organisation du planton ? C’est une organisation communautaire ? Vous partagez tout le même sol, le même toit, qui est celui du palais du gouvernement, la même nourriture…
G : C’est le seul moyen de survivre ici non ? Nous devons manger la même chose, ensemble, partager, parce que dans les communautés à l’heure actuelle…

C’est justement pour ça que nous aimerions que des organisations se rendent dans les communautés. Qu’il y ait une caravane, pour que l’on sache quelle est la situation dans les communautés. On entend très souvent parler du Chiapas et nous savons que la répression est très forte là-bas, mais cela n’est pas le cas seulement au Chiapas. D’autres États sont aussi touchés : Guerrero, Veracruz et ici a Oaxaca. Nous vivons ici jour et nuit, devant le palais du gouvernement. Nous mangeons ici, nous dormons ici, nos enfants jouent ici.

ML : Au travers de l’exemple des zapatistes et de la lutte au Chiapas, il semble qu’il y a une avancée possible. Comme vous le disiez, la présence de sympathisants est très importante. Ils peuvent dénoncer les menaces, être présents et signaler les abus de pouvoir de la part des caciques, des paramilitaires. Il s’agit aussi d’attirer l’attention de l’opinion publique pour que tous les regards ne soient pas braqués seulement sur le Chiapas. Partout où il y a une injustice, il faut la dénoncer.
G : C’est ce que nous voudrions actuellement, puisque nous commençons a obtenir la confiance des gens. Avant, c’était terrible : dès qu’une organisation s’approchait de nous, le lendemain ils étaient menacés. Par exemple, les bureaux de la Ligue mexicaine des droits de l’homme ont été pillés parce que c’était les seuls à nous soutenir.

ML : Vous savez que le Mexique est considéré dans le monde comme une démocratie dans laquelle les droits de l’homme sont respectés.
G : Oui mais où est la vérité ? Nous avons vu à la télévision, nous avons lu dans les journaux la vérité du président Zedillo. Il affirme que la paix et la tranquillité règnent au Mexique, que nous vivons en démocratie. Mais pour nous qui manifestons ici, c’est la paix ? C’est la démocratie ? Vivre dans un lieu à la merci des intempéries où on ne peut pas dormir, où on ne peut pas se déplacer librement, ce n’est pas la démocratie. La paix et la démocratie n’existent que pour les familles des membres du gouvernement. Alors que les paysans souffrent jour et nuit dans leurs champs et dans la montagne, eux sont tranquillement dans leurs maisons.

ML : Avez-vous espoir que quelque chose change avec le gouvernement de Vicente Fox ?
G : Nous n’avons aucun espoir que quoi que ce soit change. Pour nous, c’est exactement la même chose, ils changent de costume, rien de plus. Ce sont les mêmes, ils ont les mêmes idées. Probablement va-t-il y avoir une répression encore plus forte envers les indigènes. Son discours n’est pas correct envers nous, cela va sûrement être encore pire.

Nous ne nous laisserons pas intimider par les menaces. Nous savons qu’il en coûtera beaucoup de travail mais nous allons continuer notre lutte. Nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir obtenu la libération de nos proches, de meilleures conditions de vie dans les communautés, la démilitarisation de la région et l’annulation des 250 ordres d’appréhension. Notre objectif est de continuer la lutte, et les menaces peuvent continuer, nous n’en avons pas peur.

Entrevue réalisée le 7 août 2000 à Oaxaca par Stéphane Catherine et Séverine Grihault


[1Loxicha est une région comptant 35 000 personnes réparties dans 26 communautés.

[2« Guerre de basse intensité », inventée par les États-Unis et utilisée au Vietnam. C’est une pression exercée sur la population par les moyens les plus variés (Omniprésence militaire, arrestations arbitraires, tortures, introduction de l’alcool dans des communautés, déplacements forcés de population, intimidations, menaces, rumeurs manœuvres de division des communautés, groupes paramilitaires, etc.). Les objectifs de cette forme de guerre sont la destruction de la structure des communautés, l’anéantissement psychologique des populations et la disparition de leur culture.

[3M. Agustin Luna Valencia (président municipal) a été condamné à 42 ans de prison, M. Fortino Enriquez Hernandez et Abraham Garcia Martinez à 36 ans ; Alvaro Ramirez à 38 ans de détention (La Jornada, février 2000)