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Sur l’usage politique du scandale

Une Affaire qui tourne :

les affaires
Le jeudi 11 janvier 2001.

Affaire Elf, affaire de la mairie de Paris, du conseil régional de l’Île-de-France ou d’ailleurs, affaires Strauss-Kahn, cassette Méry mettant en cause directement le président de la République et maintenant affaire Falcone-Mitterrand, rien ne semble plus arrêter la marche triomphale de la justice dans sa quête de vérité. Nous n’étions pas habitués à voir ainsi les juges et les médias malmener, avec tant d’ardeur, les élites politiques, la prison constituant même l’aboutissement de la carrière politique pour un nombre croissant d’entre elles. Bref, tout se passe comme si l’impunité des puissants n’était plus de mise. La justice bourgeoise est-elle en train d’être reléguée dans les oubliettes de l’histoire ? Les médias ne seraient-ils plus à la botte des pouvoirs ? Faut-il se réjouir de la déstabilisation de la classe politique ? Autant de questions qui nous invitent à comprendre comment et pourquoi fonctionne, ce qu’il est désormais convenu d’appeler, la politique du scandale.

Des scandales partout dans le monde et à toutes les époques

Tout d’abord, le phénomène des affaires n’est pas propre à la France. La quasi-totalité des régimes politiques ont été touchés, durant les dix dernières années, par une avalanche de scandales. Personne n’est épargné. Par exemple, citons : les démocrates-chrétiens en Italie évincés du pouvoir pour cause de relations avec la mafia ; le parti libéral-démocrate au Japon qui a perdu pour la première fois le contrôle exclusif du gouvernement en 1993 à la suite de révélations concernant les liens qu’il entretenait avec les Yakusa ; le parti du Congrès en Inde qui, après quarante-quatre années passées au pouvoir, est laminé aux élections de 1996 en raison d’un énorme scandale impliquant le Premier ministre Narasimha Rao ; sans compter les affaires de corruption touchant le président Roh en Corée du Sud ou le président Collor de Melo au Brésil, en passant par des chefs de l’armée russe et des hauts cadres de l’administration socialiste espagnole comme le gouverneur de la banque d’Espagne avouant avoir fraudé le fisc, le chef de la Guardia Civil balancé en prison pour pots-de-vin ou des ex-agents spéciaux de la police espagnole emprisonnés pour avoir organisé des attentats contre les indépendantistes basques et qui se retournèrent contre le gouvernement en impliquant notamment le ministre de l’Intérieur.

Bien sûr, les scandales politico-financiers ne datent pas d’aujourd’hui. En France, c’est le fonds de commerce du Canard enchaîné depuis la Première guerre mondiale tandis que, en Grande-Bretagne, l’adoption du Reform Act de 1867 devait mettre un terme à l’ampleur de la corruption et que, en 1890, le journal japonais Asahi écrivait déjà : « Qui achète son élection sera à vendre une fois élu ».

La systématisation de la politique du scandale dans et par les médias

Par contre, ce qui est nouveau depuis les années 1990, c’est la systématisation de l’usage du scandale, dans et par les médias. Les affaires font régulièrement les gros titres des médias et rythment maintenant l’essentiel de la vie politique. Comme les positions idéologiques des partis politiques se ressemblent de plus en plus, les luttes pour capter l’électorat se déplacent sur le terrain des qualités attachées à la personne ou au parti. Discréditer l’adversaire permet alors de remporter une élection. Si les révélations de corruption ne suffisent pas à fragiliser un opposant, on passera à la divulgation de pratiques liées à son comportement - vie sexuelle ou consommation de drogue comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons.

Mais, les politiques sont souvent pris à leur propre piège. Berlusconi en est l’exemple le plus caricatural. S’appuyant sur les trois chaînes de télévision qu’il contrôlait, il a fait campagne contre la corruption de la politique, est devenu Premier ministre en 1994 avant de sombrer, deux plus tard, à la suite des affaires révélées par les juges et les médias. À chaque scandale, ceux-ci dopent leurs ventes tout en gagnant une certaine autonomie politique et en se posant comme acteur incontournable de la politique. Quant aux juges qui leur distillent des informations, ils peuvent, en échange, devenir des héros médiatiques plus ou moins éphémères ou se reconvertir dans la politique tel le juge Thierry Jean-Pierre passé dans le camp du réac Philippe de Villiers.

Des honnêtes gens au pouvoir : ça ne fait toujours pas l’affaire !

Au total, à la délégitimation des politiques voire de la politique, correspond la montée en puissance du droit et de l’éthique, véritables régulateurs du système : la justice doit faire son travail. Pourtant, selon que l’on soit rmiste ou notable, la nature de l’acte délictueux n’a pas la même signification sociale. Dans le premier cas, le vol est ce qui reste pour assurer sa survie, dans l’autre, le trafic sert à asseoir davantage son pouvoir et sa domination.

Surtout, en se focalisant sur le sens moral des personnes, la justice favorise, certes, une plus grande mobilité du personnel politique, mais les structures politiques subordonnées aux intérêts capitalistes perdurent. Au mieux, à la place d’avoir des dirigeants pourris, nous aurons bientôt d’honnêtes responsables conduisant la même politique d’accompagnement de la régression sociale, le tout glorifié par des médias aussi impertinents que Le Monde - qui sort l’affaire Méry, au nom de l’éthique journalistique, et encense les fonds de pension ou la casse des services publics. Créer un statut de l’élu comme le préconisent les Verts, ne changera évidemment rien à l’affaire, même s’il faudra suivre l’affaire de près. Finalement, les affaires peuvent fournir matière à un bon polar, mais ne méritent pas qu’on en fasse toute une affaire !

Guillaume. — groupe Durruti (Lyon)