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1871, la Commune… en province

Le jeudi 3 avril 2003.

La légende historique explique en partie la défaite des communards par le « fossé » qui les sépare du reste de la France. C’est faux. De septembre 1870 à mai 1871, des manifestations, des émeutes, des insurrections communalistes se dérouleront partout en France. Les textes qui suivent tentent de lever un coin du voile.

Du 23 mars au 28 mars à Saint-Étienne sous l’impulsion du club « de la rue de la Vierge » et de la garde nationale, des manifestations eurent lieu, puis l’hôtel de ville fut pris par les insurgés. Au Creusot : le drapeau rouge fut hissé et la Commune proclamée plusieurs fois par Dumay et les gardes nationaux, mais à chaque fois l’armée reprit le contrôle de la ville. Il y eut d’autres mouvements à Narbonne, Béziers, Perpignan (25 mars), à Grenoble (16 avril), Bordeaux (16 et 17 avril), Nîmes (le 18 avril), Périgueux, Cuers, Foix, Rouen, Le Havre et même à Alger, etc. Dans de nombreuses communes des drapeaux rouges apparurent régulièrement sur les monuments publics.



Fédération révolutionnaire des Communes

La situation désastreuse dans laquelle se trouve le pays, l’impuissance des pouvoirs officiels et l’indifférence des classes privilégiées ont mis la nation française au bord de l’abîme. Si le peuple organisé révolutionnairement ne se hâte pas d’agir, son avenir est perdu, la révolution est perdue, tout est perdu. S’inspirant de l’immensité du danger et considérant que l’action désespérée du peuple ne saurait être retardée d’un seul instant, les délégués des comités fédérés du salut de la France, réunis au Comité central, proposent d’adopter immédiatement les résolutions suivantes :
 La machine administrative et gouvernementale de l’État, étant devenue impuissante, est abolie.
 Tous les tribunaux criminels et civils sont suspendus et remplacés par la justice du peuple.
 Le paiement des impôts et des hypothèques est suspendu et remplacé par les contributions des communes fédérées, prélevées sur les classes riches, proportionnellement aux besoins du salut de la France.
 L’État étant déchu, il ne pourra plus intervenir dans le paiement des dettes privées.
 Toutes les organisations municipales existantes sont cassées et remplacées, dans toutes les communes, par des comités de salut de la France, qui exerceront tous les pouvoirs sous le contrôle immédiat du peuple
 Chaque comité de chef-lieu de département enverra deux délégués pour former la convention révolutionnaire du salut de la France.
 Cette convention se réunira immédiatement à l’hôtel de ville de Lyon, comme étant la seconde ville de France et la plus à portée de pouvoir conduire énergiquement la défense du pays.

Cette convention appuyée par le peuple entier sauvera la France. Aux armes !

Lyon, le 26 septembre 1870

Déclaration signée entre autres par : Albert Richard, Michel Bakounine (Lyon), Rajon (Tarare), A. Bastellica (Marseille), Dupin (Saint-Étienne).

Mâcon communarde

Une génération ne peut pas engager les générations à venir. Les coups d’État et les plébiscites sont les causes directes de tous les malheurs qui nous accablent.

« Les rois, disait le conventionnel Grégoire, sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique… L’histoire des rois est le martyrologe des nations… »

En conséquence, tous les prétendants doivent être à jamais bannis de France et mis hors la loi. Ils serviraient, par leur présence, de prétextes perpétuels à des discordes civiles. Les deux bases fondamentales de la tyrannie sont l’ignorance et la superstition. Il y a deux moyens de les faire crouler :
 L’instruction gratuite, obligatoire et radicalement laïque.
 La séparation de l’Église et de l’État, comprenant la suppression du budget des cultes.

Les écoles doivent être communes, afin de faire disparaître chez les enfants tous les préjugés de caste, qui sont des obstacles à l’égalité, à la fraternité. L’ensei-gnement de principes religieux doit y être interdit[…]. Il n’y aura plus conflit entre l’autorité civile et l’autorité religieuse. Les manifestations publiques des cultes doivent être rigoureusement interdites.

Les tribunaux sont institués pour défendre l’homme contre les abus de la force et du privilège.

En conséquence, la justice sera ramenée autant que possible à la gratuité. La procédure doit être publique. La justice aura pour base le jury. L’inamovibilité des magistrats disparaît. Comme tous les fonctionnaires, ils seront responsables de leurs actes, et pourront être directement poursuivis.

Les armées permanentes, trop puissantes à l’intérieur pour étouffer la liberté, sont trop faibles pour résister aux invasions étrangères. Nous venons d’en acquérir la preuve douloureuse. Elles doivent être licenciées (tout en tenant compte des positions acquises) et faire place à la nation armée. La conscription doit être abolie. Les guerres de conquête sont infâmes, la défense du sol est sacrée.

Le socialisme est l’étude des questions appelées à réaliser le but de la société : le bonheur commun.

La République est le milieu libre dans lequel peuvent se discuter les questions sociales. Dans ce cas, le rôle du gouvernement, mandataire de la collectivité des citoyens, doit se borner à laisser aux différentes écoles socialistes l’indépendance la plus complète, en donnant pour garantie les libertés de presse, de réunion et d’association.

Les causes de toutes les révolutions sont : les privilèges, l’inégalité devant les résultats, entre le capital et le travail. Le travail gorge le capital —, le capital nourrit à peine le travail. Faire une juste répartition des bénéfices entre le capital et le travail, c’est étouffer le germe des guerres civiles. Les républicains, qui veulent non seulement la concorde entre Français, mais entre les peuples de l’Europe, doivent associer leurs efforts pour arriver à l’application de ces principes par la liberté, la science et le travail.

Ils doivent néanmoins avoir toujours la main sur leurs armes, et ne pas se fatiguer de veiller. Il ne faut pas qu’un coup de force nous précipite de nouveau dans un avenir sans fin de révolutions.

Déclaration approuvée par le comité radical de Mâcon, le 9 mars 1871.

Toulouse le 25 mars 1871

La garde nationale de Toulouse, réunie à l’occasion de la création de bataillons de garde constitutionnelle et de l’installation de M. de Kératry en qualité de préfet de la Haute-Garonne, a proclamé aujourd’hui à deux heures l’organisation de la commune, au cri de : Vive Paris !

Le corps d’officiers de la garde nationale sédentaire constitue la Commune de Toulouse. La Commune déclare M. de Kératry déclin de son titre de préfet, et maintient le citoyen Duportal en qualité de délégué du pouvoir central.

La Commune déclare vouloir la République une et indivisible, et elle adjure les députés de Paris d’être les intermédiaires d’une transaction désirable entre le gouvernement de la République et le peuple de Paris.

Dans ce but, elle somme le gouvernement d’avoir à dissoudre l’Assemblée nationale comme ayant accompli le mandat pour lequel elle a été élue, comme étant la cause de toutes les difficultés présentées et le fruit de la peur et de la corruption cléricale.

Elle adhère aux préliminaires de la paix et demande que, pour délivrer le plus tôt possible le sol de la patrie de la souillure de l’étranger, des mesures énergiques soient prises pour faire payer, sans délai, les frais de la guerre à ceux qui ont déchaîné ce fléau sur le pays et conclu une paix ruineuse et humiliante.

La Commune de Toulouse fera respecter toutes les opinions et assurera la conservation de tous les intérêts publics et privés, mais elle sévira avec vigueur contre toute tentative de perturbation. Son but est de mettre la République à l’abri des conspirations monarchiques de toute sorte, et d’arriver, par le concours qu’elle entend donner à la représentation radicale de l’Assemblée, à la disparition de tous les malentendus qui prolongent nos déchirements.

Vive la République une et indivisible !

Suivent les signatures des officiers de l’état-major et celles des officiers du 1er bataillon (ouest), du 2e bataillon (sud), du 3e bataillon (centre), et du 4e bataillon (nord).

Le mouvement de Limoges

Nous recevons de Limoges des nouvelles d’une haute gravité. Nous nous bornerons aujourd’hui a en faire le narré, tel que nous le tenons d’un habitant notable de cette ville, arrivé ce soir à Paris.

Le 4 de ce mois, un détachement de 450 hommes appartenant au 9e régiment de ligne reçut un ordre de départ pour Versailles. Les soldats se dirigèrent vers la gare au cri de : Vive la République ! et tout au long de la route la foule les accueillit par des bravos mille fois répétés. Arrivés à la gare, ils déclarèrent qu’ils ne se battraient point contre leurs frères de Paris. Et, au même instant, pour donner plus d’autorité à leur engagement, ils remirent à la foule, aux ouvriers qui les entouraient, leurs armes et leurs cartouches ; puis ils rentrèrent en ville. Leur retour, l’attitude énergique qu’ils venaient de prendre en présence de leurs officiers firent une telle impression sur le peuple, que des centaines de bras se levèrent pour les porter en triomphe ; ce n’était plus de l’enthousiasme, c’était un délire patriotique.

L’autorité civile se réunit aussitôt à l’hôtel de ville, dans un effarement très facile à comprendre. On chercha longtemps, mais hélas en vain !

M. le préfet, le représentant du gouvernement de Versaille avait déjà jugé opportun de prendre la fuite.

Le maire ordonna au colonel des cuirassiers de charger la foule et de s’emparer des soldats mutinés. Cet ordre fut suivi, mais son exécution n’aboutit qu’à exaspérer le peuple. La mêlée devint bientôt générale, dans la lutte le colonel fut tué et un capitaine grièvement blessé.

Limoges est en pleine révolution. Le 9e régiment fraternise avec les habitants de la ville.

Le Journal officiel de la Commune de Paris, 6 avril 1871

Commune révolutionnaire de Marseille

Le 21 mars 1871.
Une dépêche télégraphique du préfet, le contre-amiral Cosnier, indique : Marseille est tranquille. Tous les rapports qui m’arrivent sur l’état des esprits dans le département sont rassurants.

Le 22 mars.
La proclamation de Thiers, flétrissant l’insurrection parisienne et exhortant à l’union, est affichée sur les murs de la ville. Cette proclamation qui parle en termes favorables de Canrobert et de Rouher apparaît aux Marseillais comme une traîtrise et, le soir même, devant plus de 1 000 personnes, Gaston Crémieux prononce un discours extrêmement violent :

Le gouvernement de Versailles a essayé de lever sa béquille contre ce qu’il appelle l’insurrection de Paris, mais elle s’est brisée entre ses mains, et la Commune en est sortie. Ainsi, citoyens, les circonstances sont graves. Avant d’aller plus loin, je veux vous poser une question. Quel est le gouvernement que vous reconnaissez comme légal ?

Est-ce Paris ? Est-ce Versailles ? Toute la salle unanime, crie : « Vive Paris ! »

À ces cris unanimes qui sortent de vos mille poitrines nous nous unissons et nous crions : « Vive Paris ! ». Mais ce gouvernement va être combattu par Versailles. Je viens vous demander un serment, c’est celui de le défendre par tous les moyens possibles, le jurez-vous ?
 Nous le jurons !
 Et nous aussi, s’il faut combattre, nous nous mettrons à votre tête. Nous serons obligés de le défendre dans la rue. Rentrez chez vous, prenez vos fusils, non pas pour attaquer, mais pour vous défendre…

Le 23 mars.
Le contre-amiral Cosnier organise une contre-manifestation en faveur du gouvernement de Versailles, mais depuis l’aube les gardes nationaux des quartiers populaires s’étaient rassemblés, et une foule immense se regroupe autour d’eux.

La préfecture est envahie, les autorités destituées, une commission départementale est formée, présidée par Crémieux et comprenant 12 membres. Elle représente équitablement les diverses fractions de l’opinion publique : les radicaux avec Job et Étienne, l’Internationale avec Alérini, la Garde nationale avec Bouchet et Cartoux, et trois membres délégués par le conseil municipal.

La commission déclare : à Marseille, les citoyens prétendent s’administrer eux-mêmes, dans la sphère des intérêts locaux. Il serait opportun que le mouvement qui s’est produit à Marseille fût bien compris, et qu’il se prolongeât. Nous voulons la décentralisation administrative avec l’autonomie de la Commune, en confiant au conseil municipal élu dans chaque grande cité les attributions administratives et municipales.

Le 26 mars.
Le général Espivent de la Villeboisnet, officier réactionnaire et clérical s’il en fût, qui s’était réfugié à Aubagne avec ses troupes, et qui calque sa conduite sur celle de Versailles, proclame le département des Bouches-du-Rhône en état de guerre.

Le 27 mars.
Le conseil municipal (composé de républicains modérés et bourgeois) rompt avec le conseil départemental. Cette rupture accroît les difficultés matérielles auxquelles devait faire face la Commune après le départ de nombreux fonctionnaires.

Le 28 mars.
Arrivée à Marseille de trois représentants en mission envoyés par la Commune de Paris (May, Amouroux et Landeck). Malheureusement, ils sont tous trois incapables et vont s’immiscer dans les affaires marseillaises, portant de graves préjudices à l’action locale.

Le 1er avril.
Le Conseil municipal est dissous.

Le 3 avril au soir.
Espivent fait marcher ses troupes (6 000 à 7 000 hommes) sur Marseille. Il a l’appui de trois navires qui croisent au large du port. En pleine nuit, les soldats parcourent les 17 km qui les séparent de Marseille.

Pendant ce temps, des barricades sont dressées autour de la préfecture et quelques hommes se rassemblent. Les soldats d’Espivent prennent la gare, le fort Saint-Nicolas et le fort de Notre-Dame-de-la-Garde, ils effectuent un mouvement d’encerclement complété par le débarquement des marins.

Pourtant, la population réagit. Une foule immense, armée en partie et tumultueuse, se réunit. Deux bataillons d’infanterie fraternisent, levant leurs chassepots en l’air aux applaudissements de la foule.

Mais Espivent, après avoir reçu sèchement Crémieux, venu parlementer, fait bombarder la ville (300 obus tomberont sur la préfecture). Les combats acharnés se déroulent jusqu’au soir et la préfecture est finalement investie par les marins. La Commune de Marseille avait vécu, la répression cléricale et réactionnaire allait s’exercer impitoyablement jusqu’en 1875.

René Bianco, Le Monde libertaire