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La Crise irakienne, ou la Valse des alliances

Le jeudi 20 mars 2003.

Sous couvert de contenir les prétentions américaines, les dirigeants des autres puissances dessinent les contours d’une nouvelle coalition impérialiste.



Ces derniers jours, les diplomates américains et français se veulent rassurants : les deux nations resteront alliées malgré leur désaccord présent sur la crise irakienne. En effet, on a du mal à imaginer que les deux pays se trouvent un jour dans une situation de concurrence, voire de conflit militaire. Pourtant, en 1814, une alliance entre la France et l’Angleterre, contre l’Allemagne, semblait tout à fait inimaginable. Elle deviendrait cependant réalité cent ans plus tard.

L’équilibre des puissances

Depuis la chute de l’Empire romain, l’Europe est caractérisée par l’éparpillement du pouvoir politique : toutes les tentatives d’unification du continent dans un empire ont échoué à long terme. Chaque fois qu’une des puissances européennes a essayé de dominer durablement le continent, les autres puissances se sont unies pour parer à la menace impériale. Ainsi l’Europe a connu la coalition anti-Habsbourg (guerre de Trente Ans), la coalition anti-française (Révolution française et Ier Empire), puis la coalition anti-allemande (Première et Seconde Guerre mondiale).

Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe, habituée à dominer le reste du monde, s’est trouvée elle-même dominée par deux puissances semi-européennes : l’URSS et les États-Unis. Une situation bien évidemment insupportable pour le vieux Continent. Pourtant, l’équilibre nucléaire entre les deux superpuissances laissait une certaine marge de manœuvre et de chantage politique et économique aux pays de l’Europe occidentale et aux pays en voie de développement.

Depuis l’effondrement de l’Empire soviétique, le monde est confronté à la prédominance des États-Unis. La volonté affichée de l’administration Bush d’ignorer le droit international est de nature à inquiéter, pas uniquement Saddam Hussein et Fidel Castro, mais tous les gouvernants, à l’exception bien évidemment de George Bush et Tony Blair (le nouveau « vice-président » des États-Unis selon une blague des manifestants pacifistes britanniques).

Une nouvelle coalition « anti-impériale » (mais pas anti-impérialiste) se dessine autour de la France, de l’Allemagne, de la Russie et de la Chine. Un regroupement plutôt invraisemblable, mais on a déjà vu des alliances nettement moins probables (Churchill, Staline, Roosevelt !). Bien entendu, il s’agit, pour l’instant, d’une coalition exclusivement diplomatique, dont la principale force est le fait de se trouver en phase avec une opinion publique qui est devenue mondiale lors de la crise irakienne. C’est pourtant une coalition militaire en puissance qui regroupe la première puissance économique mondiale qui est l’Union européenne (qui reste, il est vrai, divisée en deux camps), la plus grande armée de la planète (l’armée chinoise) et les forces nucléaires russe et française.

Vers l’union sacrée intérieure

Sur le plan de la politique politicienne, la stratégie « anti-impériale » commence à payer : en Allemagne, le gouvernement Schröder doit sa réélection, malgré un bilan désastreux en matière d’économie, à sa prise de position précoce et sans ambiguïté dans la crise irakienne.

Jacques Chirac tire un plaisir indéniable de son rôle de successeur dévoué de Mahatma Gandhi et du général De Gaulle réunis. La relative paix sociale qui règne en France, malgré la multiplication des plans de licenciement et le débat sur les retraites, s’explique certainement en partie par la popularité de la politique étrangère du président. Le pollueur de Mururoa et seigneur de guerre en Côte d’Ivoire, promis à une retraite à la Santé il y a un an, est un candidat sérieux pour le prix Nobel de la paix. On croit rêver…

Les deux exemples montrent bien les dangers d’un climat de conflit durable entre les États-Unis et le reste du monde. Celui-ci serait certainement accompagné d’un véritable cessez-le-feu social malgré la multiplication d’attaques massives contre les acquis historiques du mouvement ouvrier. On peut également s’attendre à une franche augmentation des dépenses militaires dans tous les pays impliqués [1]. Finalement, nous risquons d’être confrontés à un nouveau type de nationalisme, recyclé du nationalisme traditionnel, de l’ancien complexe de supériorité culturelle européenne, de la phraséologie anti-impérialiste et de l’antiaméricanisme à trois sous. Ce cocktail inquiétant des éléments de droite et de gauche est susceptible de réconcilier les sociétés européennes avec leur classe politique (au niveau national et européen) et de résoudre d’une façon inattendue, mais tout à fait classique (« Tous ensemble contre l’ennemi extérieur ») la crise politique qui pèse sur les démocraties représentatives du vieux Continent. Bref, pas de bonnes nouvelles pour la révolution sociale.

Martin, FA Toulouse


[1D’ailleurs, on peut se demander contre quel ennemi serviront les augmentations des dépenses militaires décidées récemment par le gouvernement Raffarin.