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Pour un pacifisme intégral libertaire et révolutionnaire

Le jeudi 20 mars 2003.

« La mystique irraisonnée de la violence a beaucoup gêné le développement de notre mouvement libertaire tout au long de son histoire ». Jacky Toublet [1]



Dans le numéro 1309 du Monde libertaire, je regrette que le militant anarcho-syndicaliste Michel Sahuc, dans son article au sujet de l’Irak, mette dans le même panier le nationalisme, la propagande médiatique et le pacifisme intégral non-violent. Ce dernier serait aussi pour l’auteur, un frein à l’émancipation du prolétariat, aurait des « vertus soporifiques » qui l’empêcheraient de « s’opposer activement à la guerre impérialiste dans chacune de ses manifestations… ». Je préfère penser que le camarade est totalement ignorant de l’histoire des luttes non-violentes, du pacifisme, des actes de désobéissance civile à travers le monde. Si on doit faire de tristes comparaisons, en tant que syndiqué moi-même, je me permets d’écrire que le syndicalisme français d’aujourd’hui joue souvent le rôle de pompier du mouvement social, a sa part de responsabilités dans la disparition de la notion de lutte des classes, d’une certaine conscience sociale chez les « travailleurs et travailleuses ».

On ne doit pas non plus opposer pacifisme, action directe non-violente et syndicalisme, les grévistes de Solidarnosk en Pologne du temps de la dictature nous ont prouvé leur efficacité conjointe. Enfin, on ne doit pas vivre sur la même planète car le 15 février dix millions de Terriennes et de Terriens ont manifesté contre l’impérialisme états-unien, sa guerre, sur des bases pacifistes certaines même antimilitaristes, antilibérales, anticapitalistes.

Qu’entend Michel Sahuc par s’opposer activement à la guerre ? Fallait-il prendre les armes pour empêcher le conflit en gestation, détruire l’ambassade américaine, abattre deux tours de plus avec tout le personnel en prime ?

Sa critique réductrice du pacifisme et de la non-violence reste dans le moule de la culture dominante qui leur donne une connotation péjorative. Ils seraient synonymes de passivité, de lâcheté… On accuse les pacifistes d’être des traîtres, des parjures… Or, c’est tout sauf ça.

Par ailleurs, le pacifisme intégral conséquent est aujourd’hui forcément, logiquement, anticapitaliste, antiautoritaire, propose une condamnation de la guerre quelle qu’elle soit, mais aussi souvent une alternative au système, des moyens d’action, des stratégies, une idéologie inspirés de l’anarchisme, du syndicalisme d’action directe, des mouvements des droits civiques, de la désobéissance civile, du féminisme, de l’écologie sociale, de la non-violence active, et aussi dans certains cas, hélas, de la religion (cf. Tolstoï, les quakers, certains moines bouddhistes, Gandhi, etc.). C’est un peu toutes les composantes qu’on retrouve dans l’Internationale des résistants à la guerre. Du côté de la non-violence active, il y a aussi des groupes nationalistes (le groupe basque Demo) ou des organisations qui ne sont pas anticapitalistes comme Greenpeace, ou juste de gauche comme le Man (Mouvement pour une alternative non- violente).

Dans le monde, la plupart des militantes et des militants s’opposent activement au système, prennent des risques souvent au péril de leur vie. Leurs moyens sont souvent : la démocratie de base, le boycott, la désobéissance civile, la non-coopération, la grève de la faim, la grève, l’humour, les marches, les occupations et les invasions d’institution, de bases militaires par exemple, le sabotage d’avions de guerre, de sous-marin nucléaire à coups de marteau, l’insoumission et l’objection de conscience, le refus de l’impôt, des « die in », des « sit in », des « kiss in », du théâtre, etc.

Des activistes s’enchaînent à des rails de chemins de fer pour empêcher le transport de matières radioactives, des milliers grâce à l’influence d’un réseau non-violent d’action directe bloquent l’OMC à Seattle, des femmes britanniques campent autour d’une base de l’Otan par tous les temps, des militants en forment d’autres pour de futures actions, on arrache des plants d’OGM, des femmes indiennes luttent contre la construction d’un barrage géant, etc., des jeunes objecteurs de conscience croupissent en prison en Finlande, en Israël, en Turquie.

Bref un monde vivant, agissant, souvent novateur, dont devraient s’inspirer bien des militant(e)s syndicalistes français(e)s libertaires, de gauche pour qu’ils et qu’elles renouent avec l’action directe, la démocratie de base sur le terrain (lors de manifestations géantes antinucléaires allemandes ou pendant le blocage de l’OMC à Seattle). Les anarchistes, en particulier, devraient nouer des liens plus intimes avec la philosophie et les pratiques non-violentes sous peine de voir notre idéal s’éloigner encore un peu plus à chaque fois que nous sommes tentés de prendre les armes pour un oui ou un non.

Ni la fin ni les moyens nécessaires à notre projet libertaire ne devraient être ceux de la société capitaliste, patriarcale dont nous souhaitons la destruction et qui est structurée par la domination, la force, la violence. « Tout recours à la violence perpétue la domination en la faisant tout au plus changer de camp » (Réfractions, nº 5, p. 3).

Inversement, les activistes non-violents, pacifistes devraient plus ouvertement s’intéresser à l’anarchisme social, au syndicalisme révolutionnaire et investir le champ des luttes à dominantes sociales. Contrairement aux affirmations de l’idéologie libérale, la lutte des classes est toujours d’actualité. « De nombreuses violences structurelles » résultent encore du mode de production capitaliste qui domine l’économie de nos sociétés (Lexique de la non-violence de Jean-Marie Muller).

Enfin, ils et elles devraient s’approprier les classiques de l’anarchisme afin d’éviter les pièges de la religion, du citoyennisme, de la collaboration avec la flicaille.

Je conseille à tous et à toutes de lire Lexique de la non-violence de Jean-Marie Muller, Anarchisme, violence, non-violence de Xavier Bekaert aux éditions du Monde libertaire, « Anarchisme, non-violence, quelle synergie ? », Le nº 17 d’Alternatives non-violentes, la revue Réfractions, nº 5, Union pacifiste, Peace News, Graswurzelrevolution, « le Manifeste du pacifisme intégral » et Le Monde libertaire. Visitez également le site Internet de l’Internationale des résistant(e)s à la guerre (IRG).

Johan


Johan est militant du groupe Jes-Futuro de la Fédération anarchiste.


[1in Réfractions, nº 5, Violence, contre-violence, non-violence anarchistes, printemps 2000.