Accueil > Archives > 2003 (nº 1301 à 1341) > 1312 (20-26 mars 2003) > [Féministe]

Féministe

tant qu’il le faudra
Le jeudi 20 mars 2003.

Combien de fois n’avons-nous pas entendu : « Mais qu’est-ce qu’elles veulent les féministes ? » ou encore « Aujourd’hui, y’a plus de raison de râler… maintenant, les femmes et les hommes ont les mêmes droits ! »

Ainsi, la légitimité des revendications et des luttes féministes est encore et encore remise en cause. Le matraquage médiatique mais aussi les valeurs véhiculées et relayées par les institutions de socialisation (telle que l’école par exemple), par lesquelles chacun(e) d’entre nous se construit, entretiennent ce que l’on peut appeler l’« illusion égalitaire ». Celle-ci consiste à nous faire croire que maintenant les hommes et les femmes sont « égaux » et que, donc, les luttes féministes n’ont plus lieu d’être (ben voyons !).

Si on se penche d’un peu plus près, il est évident qu’il y a encore du chemin à faire pour que les hommes et les femmes aient enfin des relations que l’on pourrait qualifier comme des rapports égalitaires.

Or, qu’en est-il de la persistance du « plafond de verre [1] » ? Pourquoi, aujourd’hui encore, six femmes meurent tous les mois suite à des violences conjugales [2] ? La liste serait trop longue si l’on voulait faire l’état des lieux de la situation des femmes aujourd’hui… mais cela interroge : c’est cela l’égalité ?

On va me dire que maintenant, il y a des lois… Bien sûr, des textes de lois ont été institués, modifiés (cela a été un des axes des luttes féministes, et c’est bien parce que des femmes sont descendues dans la rue qu’elles ont gagné certaines choses), cependant, même si certaines de ces lois sont très importantes, elles ne sont pas toujours une garantie et elles ne sont jamais suffisantes.

Certes, depuis la fin des années soixante-dix, nous pouvons aujourd’hui jouir de certains « acquis » (qui n’en sont jamais, restons vigilantes !) durement gagnés par les luttes menées par nos camarades féministes et/ou lesbiennes de la « grande époque ». Le droit à l’avortement et l’accès à la contraception ont été des axes majeurs sur lesquels elles se sont battues, et c’est certainement une grande victoire que cette bataille-là.

Néanmoins, au-delà de ce constat, il est très réducteur de penser ou de définir les luttes féministes à l’aune de cet aspect légaliste uniquement. Depuis l’apparition des revendications et des luttes féministes, les femmes luttent avant tout pour la libération des femmes. Cette libération est la condition nécessaire au processus d’émancipation et d’autonomisation des femmes autant intellectuelle que matérielle (liberté et autonomie d’agir et de penser, indépendance financière, émancipation sexuelle, etc.).

Les féministes ont toujours agi en ce sens, et notamment à travers la remise en cause des rapports de domination au travail, dans le couple, dans la famille, de la séparation des sphères dites publique et privée… Cependant, les luttes féministes ont toujours été démolies, et ceci par la non-visibilité de leurs revendications et par l’image caricaturale renvoyée par les médias. Et aujourd’hui, le processus continue…

Quelles perspectives ?

Au-delà du constat de la « crise » que traverse aujourd’hui le militantisme de manière globale ainsi que les conséquences de « l’institutionnalisation [3] » des luttes, notamment féministes, depuis ces vingt dernières années (au bas mot), la pseudo « égalité » entre les hommes et les femmes, idée reçue largement dominante et malheureusement intégrée par de nombreuses femmes, et notamment des jeunes femmes aujourd’hui, pèse très lourd. Ceci pose directement la question du relais et de la transmission du discours féministe : comment sensibiliser, informer et opérer des prises de conscience alors que l’illusion égalitaire des rapports hommes/femmes est ainsi entretenue et légitimée (et notamment par les opprimées elles-mêmes) ?

Cette entreprise semble d’autant plus difficile quand, même au sein des mouvements politiques censés être plus « au courant » ou plus « sensibilisés » des/aux luttes féministes, le terrain est souvent miné. En effet, les organisations politiques sont « traditionnellement » des espaces très masculins, il suffit de constater à quel point les femmes y sont peu nombreuses… et je ne parle pas des postes à responsabilité ou dis prestigieux quasi exclusivement occupés par des hommes dans les structures hiérarchiques (syndicats, partis, etc.). De plus, nous (les femmes) y avons encore beaucoup de difficultés à mener des luttes qui soient reconnues comme suffisamment légitimes pour qu’elles fassent partie des batailles « aussi importantes » que les autres.

Il est vrai que nous souhaitons ne pas recevoir des « leçons de féminisme », que les femmes sont les actrices de leur libération ; cependant, la « ghettoïsation » non choisie des féministes dans certaines organisations où elles militent renvoie directement au peu d’intérêt que les hommes y portent [4].

En termes de perspectives, je pense qu’il y a une réelle nécessité de lutte unitaire des féministes et des lesbiennes, à savoir qu’il nous faut foutre en l’air les barrières qui toujours œuvrent à diviser les femmes.

Il est évident qu’il y a des divergences politiques très fortes au sein des féministes et il est important de ne pas les taire, elles doivent être posées et discutées. Néanmoins, nous savons bien, au plus profond de nous-mêmes, que ce qui nous réunit c’est que l’on sait pertinemment que la première des oppressions dont on doit se libérer, c’est celle du patriarcat. Et, en cela, on doit bien pouvoir faire des choses ensemble, non ? Les féministes doivent se constituer en réseaux et s’organiser afin de ne pas être divisées et isolées. Ceci nous donnerait la possibilité, au moins, de réagir rapidement et plus efficacement qu’actuellement…

Et puis, la révolution ne se fera pas sans les femmes ! Féministes, tant qu’il le faudra !

Adeline, groupe de Nantes


[11. Le « plafond de verre » symbolise la frontière qui exclut les femmes de toute ascension sociale à hauteur de celle possible pour les hommes (inégalité des salaires à travail égal, non-accès aux postes à responsabilité ou dits prestigieux, etc.)

[2Voir l’enquête Enveff (Enquête nationale des violences faites aux femmes en France) réalisée en 2000 par l’Insee.

[3Cette institutionnalisation est l’effet pervers de l’intégration des oppositions au sein des structures dirigeantes, comme par exemple la présence de certaines féministes dans les appareils d’État. La marge de manœuvre en est réduite et les luttes moins radicales puisque elles ne se passent plus dans la rue (rapport de force quasi inexistant).

[4Combien de féministes à la FA aujourd’hui ?