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Ressusciter Lazare

Le jeudi 29 janvier 2004.

Au cours de sa courte vie, Bernard Lazare fut écrivain symboliste, journaliste, anarchiste, dreyfusard et défenseur des juifs persécutés.

Né à Nîmes dans une famille juive installée en France depuis plusieurs générations, il monte à Paris en 1886. Il fréquente le milieu des écrivains symbolistes qui étaient alors l’avant-garde. Certains d’entre eux sont sensibles aux idées anarchistes. Mais pour beaucoup ce ne sera qu’une mode. Par contre Bernard Lazare, comme Félix Fénéon, restera fidèle à ses idées de jeunesse.

Il étudie les religions anciennes et publie son premier roman symboliste La Fiancée de Corinthe avec son ami Ephraïm Mikhaël. Il est critique littéraire et collabore à la presse quotidienne. Ses articles sont de plus en plus libertaires. Lors du procès des Trente, il prend la défense de Jean Grave et de Félix Fénéon. En 1892, son recueil de contes, Le Miroir des légendes est influencé par les religions. En 1897, Les Porteurs de torches sont des fables dans lesquelles l’auteur s’oppose à toutes les injustices.

À partir de 1880, on constate en France une montée de l’antisémitisme. C’est l’époque où Drumont publie La France juive et où sévissent Maurice Barrès et Léon Daudet. Bernard Lazare publie en 1894 L’Antisémitisme, son histoire et ses causes. C’est une étude historique intéressante mais ses conclusions sont sujettes à caution. En effet, il défend les juifs français par rapport aux juifs étrangers. De plus, il pense que les juifs doivent être assimilés car ils ne sont pas sociables.

À la fin de l’année 1894, Alfred Dreyfus est condamné pour espionnage. Dreyfus est innocent, il a été condamné parce qu’il était juif. Cette affaire va défrayer la chronique pendant des années. Mais, au début, Dreyfus est bien seul, et Bernard Lazare sera l’un des tout premiers à prendre sa défense.

Dès 1895, il écrit une brochure sur l’affaire. Il contacte la presse, les hommes politiques, les écrivains. Il jouera également un rôle de trésorier ; et, pour faire reconnaître l’innocence de Dreyfus, il fait réaliser plusieurs expertises.

Avec la parution de « J’accuse » de Zola en 1898, le camp des dreyfusards va devenir plus important, et Lazare ne sera plus isolé. Du côté des anarchistes, Sébastien Faure et l’équipe du Libertaire s’engagent dans le combat pour Dreyfus, mais Jean Grave reste réservé. Dreyfus sera libéré en 1899 et acquitté en 1906. À cette époque, Lazare est mort depuis trois ans et son rôle essentiel dans l’affaire est alors oublié.

L’affaire Dreyfus a fait prendre conscience à Bernard Lazare que le combat pour l’émancipation des juifs dans le monde était primordial. Il rencontre Théodore Herzl, théoricien du sionisme qui avait publié en 1896 L’État des juifs. Le sionisme prend de l’ampleur à une époque de pogroms en Russie et de campagnes antisémites en France et en Autriche. En 1898, Lazare est reçu triomphalement au congrès sioniste de Bâle. Mais il ne va pas tarder à s’éloigner de Herzl. Pour celui-ci, la nation juive est un nouvel État.

En tant qu’anarchiste, Lazare ne peut que s’opposer à l’idée de nationalisme, aux compromis avec les hommes d’État, à la création d’une banque coloniale. Pour lui, le sionisme n’est pas un État mais une vision poétique, un idéal. Il préconise l’organisation du prolétariat juif dans des organisations autonomes.

En 1900 et 1902, il voyage en Roumanie et en Europe centrale. Il prend la défense des juifs de Roumanie qui étaient soumis à un régime d’exclusion. Il est accueilli comme un sauveur mais son séjour doit être écourté à cause des pressions antisémites. Il s’élève également contre la répression qui touche les Arméniens en Turquie.

À la fin de sa vie, il se lie d’amitié avec Charles Péguy et participe aux Cahiers de la quinzaine. Il meurt d’un cancer en 1903, à l’âge de 38 ans et laisse plusieurs manuscrits inachevés, dont Le Fumier de Job, consacré à l’émancipation des juifs.

Plusieurs manifestations ont été organisées à l’occasion du centenaire de la mort de Bernard Lazare :

Du 16 au 18 septembre 2003, à la Sorbonne et au Musée d’art et d’histoire du judaïsme, un colloque a réuni entre autres Nelly Wilson, Ronald Creagh, René Bianco, Jean-Louis Izrine, Gaetano Manfredonia, Philippe Oriol et Michael Löwy.

Du 17 au 30 septembre, une exposition était visible à la mairie du 3e arrondissement. La présentation des idées de Lazare y était plutôt étrange : « Un anarchisme […] au sens biblique du terme », « un sionisme libertaire » !

Le 23 novembre, le cercle Bernard-Lazare organisait une journée avec une exposition (« Dreyfus, Zola, Lazare »), un film sur l’affaire Dreyfus et un débat (« Bernard Lazare hier et aujourd’hui : de l’affaire Dreyfus aux procès de Moscou », avec Jean-Louis Bredin, Carole Sandrel et Henry Bulawko). Enfin, une plaque devait être apposée au 7, rue de Florence, 75008 Paris, dernier domicile de Bernard Lazare.

Felip Equy


Bibliographie

Ouvrages de Bernard Lazare

  • L’Affaire Dreyfus, une erreur judiciaire, Allia, 1997, 11,43 €.
  • Figures contemporaines, Ellug, 2002. 172 p., 19 €. Ce recueil propose une cinquantaine de portraits sans complaisance des écrivains de la fin du XIXe siècle.
  • Le Fumier de Job, Circé, 1996, 128 p., Poche, 15,09 €.
  • Juifs et antisémites, Allia, 1998. 24,39 €.

Sur Bernard Lazare

  • Bernard Lazare, anarchiste et nationaliste juif, textes réunis par Philippe Oriol, H. Champion, 1999, 376 p., Bibliothèque d’études juives, 58,55 €.
  • Jean-Denis Bredin, Bernard Lazare, B. de Fallois, 1992, 428 p., 21,34 €. Ce texte a été repris au Livre de poche (LGF, 2003, 446 p., Références, nº 424, 9,15 €.). L’auteur, s’est largement inspiré du livre de Nelly Wilson. Les erreurs historiques y sont nombreuses.
  • Philippe Oriol, Bernard Lazare, Stock, 2003, 457 p. (biographies), 22 €. Cet ouvrage n’omet aucun des aspects de la vie de Lazare et s’appuie sur les travaux les plus récents.
  • Wilson, Nelly, Bernard Lazare, Albin Michel, 1986. Ce titre est épuisé.