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Que faire de notre fièvre ?

Le jeudi 8 avril 2004.

Le week-end dernier, en Slovaquie, s’est tenu un référendum. Le gouvernement slovaque, à tendance ultralibérale, n’a pas pu s’y opposer. Suite à une pétition initiée par les syndicats, les électeurs du pays étaient amenés à se prononcer pour ou contre une dissolution de l’assemblée nationale. J’ai bien dit : pétition, vous avez bien lu : syndicats. Ça se passe comme ça en Slovaquie, c’est la Constitution. En France, les seules élections intermédiaires qu’autorise désormais le quinquennat présidentiel, n’auront débouché sur aucun résultat politique concret. Mot d’ordre : la continuité dans la continuité. Ça se passe comme ça en France, les gens votent pour rien, c’est la Constitution, si, selon la formule consacrée, ce n’est pas la rue qui gouverne, il semblerait que ce ne soit pas les urnes non plus. Se pose alors la question de l’utilité du vote. Se pose-t-elle vraiment ? On sait ce que les anarchistes pensent de la démocratie de représentation (comme on dit au théâtre) et de son corollaire, le vote. Qu’il nous soit néanmoins permis d’apostropher ici tous les braves gens qui, en mai-juin, nous expliquaient que manifester ça ne servait à rien, qu’on était en démocratie, que la seule arme utile c’était le vote. À ceux-là nous pouvons maintenant répondre que si le vote est une arme ce n’est qu’un piteux Manurhin tirant des balles à blanc, mais que nos flingues à nous sont chargés. Chargés de la colère des dominés, des exploités, sans-papiers, sans logement, chômeurs, précaires, intermittents, expulsés, déboutés, recalculés… tous privés du droit à une existence décente.

« Abstention piège à cons », titrait Libération quelques jours avant le premier tour, se faisant ainsi le relais d’une propagande nauséabonde, durant laquelle l’abstentionniste fut montré du doigt, accusé de tous les maux, défaite de Jospin, montée de l’extrême droite, fermeture de la boucherie Sanzot. Faut-il une nouvelle fois rappeler que l’abstention, qui n’est jamais neutre, reste la forme d’expression que privilégie nombre d’électeurs ? Dans le cas d’un scrutin purement consultatif comme celui auquel nous venons d’assister (l’exécutif se contentant de prendre la température de la population), elle s’impose plus encore. Messieurs gardez vos thermomètres, quand j’aurai à nouveau la fièvre je vous le ferai savoir. Dans la rue.

Si la rue ne gouverne pas, si les urnes non plus, dès lors qui gouverne ? Et pour qui ? C’est l’argent qui gouverne, le monde économique s’étant, paraît-il, substitué au monde réel, les gens de la finance et autres « forces vives » de la nation ayant justement décidé de s’en occuper, de la nation. C’est une affaire rentable, il faut croire, la nation. Encore faut-il tenir le peuple, pendant qu’on « réforme le pays ». Pour cette raison il est demandé au petit personnel politique de perpétuer le mime d’une démocratie de parade, voilà pourquoi on a, de temps en temps, des élections.

Pendant ce temps le Medef pavane, affiche une hargne, une morgue digne des anciens maîtres des forges. Dès lors, qui s’étonnera de voir Nicolas Sarkozy (lequel a déclaré vouloir élargir le « champ de ses compétences ») s’attaquer désormais à l’économie du pays ? Dans ce gouvernement fantoche où se bousculent les indigents et les usurpateurs (un candidat battu le dimanche doit-il être nommé ministre le mardi ? Ils sont plus de dix dans ce cas), lui seul est appelé à agir dans « le monde réel », même si c’est de façon sinistre. Fossoyeur des libertés individuelles et collectives, il a accepté avec joie le rôle de grand ordonnateur des obsèques du principe de solidarité. Désormais il tient, comme on dit, les cordons de la bourse. On va dérouiller sec.

Cependant, dans la rue, on risque d’y retourner bientôt. Il y a dans l’élaboration de ce gouvernement suffisamment de provocation pour jeter sur le pavé 80 % des Français. Fillon, l’homme de la réforme des retraites, se retrouve en face-à-face avec les profs et les chercheurs. Cela sent le duel à mort. Dutreil, garçon coiffeur chargé des PMI et des restaurateurs, ultralibéral sauce Madelin, va maintenant s’occuper de ses amis les fonctionnaires. Du moins, il essaiera. Ce n’est que deux exemples parmi d’autres, car pour qui lit attentivement la liste des nominations, le message est on ne peut plus clair : on vous emmerde, on continue, comme avant mais en pire.

Reste le cas Sarkozy. Seul ministre d’État (titre à peu près honorifique, si Raffarin doit s’absenter pendant le conseil des ministres c’est lui qui surveillera la classe ; surveiller, Sarkozy sait faire), en passant aux Finances il montre que la priorité ce n’est plus l’insécurité mais le pognon, le flouze. Le blé. La machine sécuritaire roulera sans lui maintenant, le contrôle tous azimuts de la population étant assuré par la flopée de lois liberticides, votées sous son règne place Beauvau. Libéré de ses obligations en ce qui concerne le sécuritaire, Sarko va pouvoir à présent s’occuper de notre porte-monnaie. C’est-à-dire ? Réformer, mais oui ! Le maître mot est lâché. Bossant main dans la main avec son frère Guillaume, qui pour l’instant n’est que le numéro deux du Medef, il va terminer le boulot commencé par Fillon. Lutter contre le chômage en luttant contre les chômeurs, s’attaquer à l’emploi précaire en le généralisant, mettre à mort les services publics parce que pas rentables (et l’armée française, elle, elle est rentable peut-être ?… Que des défaites, depuis Waterloo), tuer dans l’œuf toute contestation en minorant le rôle des syndicats, des collectifs de lutte, et autres ramassis de gauchistes. Surtout, parce que c’est son boulot, il fera rentrer l’argent, évitant de taxer les patrons (ça risquerait de fâcher son frère), évitant de remplacer les centaines de milliers d’agents de la fonction publique qui vont partir en retraite, bradant l’assurance maladie aux compagnies privées tout en augmentant les prélèvements tels CSG et RDS. Oui c’est bien l’argent qui gouverne, placer Sarkozy aux Finances c’est comme le hurler haut et fort. En espérant que cette fois, ce peuple de veaux aura compris.

À la question de savoir ce qu’il pensait de tout ça, le baron Ernest-Antoine a répondu que, ma foi, ça semblait aller dans le bon sens, qu’un gouvernement c’était comme une équipe de foot, il lui faut des buteurs. Sarkozy serait, selon lui, le Zidane du Raffarin III… Autant dire que le « virage social » vanté par Matignon fait bien ricaner le Medef. Il continuera de ricaner tant que nous resterons, hésitants, sur le pas de la porte, ne sachant que faire de nos fièvres.

Fred