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Andé Gill, 1840-1885

Le jeudi 8 avril 2004.

« On ne songe qu’à créer des maisons de fous, quand ouvrira-t-on des maisons pour imbéciles ? »



Considéré par Michel Ragon comme le maître du portrait-charge à la fin du Second Empire, André Gill, contestataire et progressiste, fut régulièrement persécuté par la censure. « Gill, à soi seul, est toute une époque, comme Hugo tout un siècle. » (Courteline).

Fils naturel du comte de Guines et de Sylvie-Adeline Gosset, Louis-Alexandre Gosset de Guines naît le 17 octobre 1840 à Paris. Sous le pseudonyme d’André Gill, il illustre, sous le Second Empire, le journal satirique La Lune (1865-1868). Interdit, celui-ci reparaît sous le titre de L’Éclipse (1868-1876). Ce journal combatif tirant à 40 000 exemplaires est l’objet de vingt-deux saisies. Si Napoléon III cherche vainement à se faire photographier par Nadar (celui-ci refusa toujours), il se passerait bien des représentations peu respectueuses que Gill offre de lui à ses lecteurs (en Rocambole, par exemple).

Gill dessine également pour Le Charivari et La Rue de Jules Vallès. Il réalisera également des caricatures de toutes les figures marquantes de son temps : Richard Wagner, Jules Vallès, Gambetta, Raspail, Victor Hugo, Dumas, Courbet, Nadar, Bizet, Charles Dickens, Émile Zola, Victor Schoelcher, Jules Verne, etc.

En 1868, André Gill est condamné pour avoir dessiné une citrouille dans laquelle les magistrats croient reconnaître un juge. Depuis la poire Louis Philippe de Charles Philipon, la représentation de tout fruit était suspecte aux yeux de la justice.

Les procès que Gill subit dans les années 1870 font beaucoup pour sa renommée dans la bohème artistique de Paris. Il connaît Charles Cros et Verlaine. Lors d’un voyage à Paris, Rimbaud, qui admirait les dessins de Gill publiés dans L’Éclipse, se rend chez l’artiste. Là, Rimbaud s’endort sur un canapé où Gill le retrouve allongé. Après quelques explications, il lui donne de l’argent et lui conseille de quitter Paris alors en guerre.

Après quelques numéros spéciaux d’une seule page (en raison des restrictions), La publication de L’Éclipse s’interrompt. Selon son ami le dessinateur Philippe Cattelain (chef de la Sûreté sous la Commune), « Gill avait appartenu pendant le siège à un service médical aussi mystérieux que son uniforme ».

Le 14 avril 1870, Gustave Courbet constitue une Fédération des artistes, elle compte parmi ses membres : Dalou, Daumier, Corot, André Gill, Millet, Monet, Eugène Pottier, etc. Son but est : « la libre expansion de l’art, dégagé de toute tutelle gouvernementale, l’indépendance et la dignité des artistes, la conservation des trésors artistiques, la mise en œuvre et en lumière de tous les éléments du présent ». André Gill est nommé conservateur du musée du Luxembourg le 15 mai 1871. Il rassemble les collections éparses et reconstitue le musée de la sculpture. À peine commencé, son travail est interrompu par la chute de la Commune.

Dès septembre 1871, André Gill dessine un portrait-charge de Thiers qui devient sa cible de prédilection (L’Éclipse a repris sa parution en juin). En 1872, sa collaboration est de nouveau permanente. Toujours en but à la censure, en 1873, il dessine L’Enterrement de la caricature (l’artiste y suit un corbillard avec un chien portant une plume et un pinceau) et, en 1875, Le Journaliste et l’avenir (pieds et poings liés, yeux bandés, une plume sous le bras).

L’Éclipse disparaît en 1876 pour laisser place à La Lune rousse (1876-1879), dont il est rédacteur en chef. Refusant tout engagement politique continu, l’ancien communard se brouille avec son vieil ami Jules Vallès qui ne le comprend plus. A. Gill préfère alors la bohème artistique et ses excès.

En 1880, également chansonnier, il fréquente Le Cabaret des assassins. Aussi quand un plaisantin écrit sur l’établissement : « Là peint A. Gill », l’humoriste peint une enseigne représentant un lapin s’échappant d’une casserole (aujourd’hui au musée de Montmartre) : Le lapin agile.

Avec, entre autres, son article 5 (« Tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable et sans dépôt de cautionnement »), la loi du 29 juillet 1881 libère la presse. Pour le caricaturiste, le temps du délit d’opinion et des mesures préventives s’achève, mais c’est pour entrer en hôpital psychiatrique. L’humoriste, qui avait écrit : « On ne songe qu’à créer des maisons de fous, quand ouvrira-t-on des maisons pour imbéciles ? », meurt le 1er mai 1885 dans une cellule de Charenton. En 2000 son buste, situé dans une petite rue perpendiculaire à la rue des Martyrs portant son nom, fut renversé : l’artiste perdait de nouveau la tête∞…

Olt