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Les mots pour le dire

Le jeudi 24 juin 2004.

Si vous désirez énerver un maton, dites-lui qu’il est gardien de prison. Avec colère, ce bon citoyen vous expliquera qu’il est « surveillant ». Appellation bien plus noble. Il ne garde pas un troupeau mais des hommes, se risquera-t-il même à préciser.

Et si l’on jouait à ce petit jeu sémantique avec ces policiers que l’on appelait jadis « gardiens de la paix » ? Imaginez que nous nous amusions à décorer des braves défenseurs de l’ordre public du titre de « surveillant de la paix ». Ce ne serait pas tellement déplacé car, bien évidemment, nos policiers nous surveillent, bien plus qu’ils ne nous protègent. Nos anges gardiens seraient capables de se mettre en colère, de se mettre en grève, peut-être, pour laver l’injure, ou même nous poursuivre en justice pour obtenir réparation.

En clair, il y aurait bien outrage, et ce serait insupportable. Il n’en reste pas moins, quel que soit le sobriquet dont ils peuvent être affublés, que nos policiers sont les ressortissants d’un monde à part, avec cette exigence du respect qui leur est dû. Peu regardants sur la manière dont ils sont prêts à réprimer les chômeurs, les précaires, les militants syndicaux ou politiques, les sans-papiers, les mal-logés, mais bien plus rarement les caïds du grand banditisme — car c’est dangereux — et jamais les délinquants en col blanc, nos hommes en bleu marine ont la conscience tranquille. L’uniforme donne le sentiment de disposer de tous les droits, de se conduire en ennemi de ceux qu’ils sont censés protéger, ainsi que leurs biens éventuels. Il est vrai qu’aux yeux des policiers de la République le précaire n’est pas une personne. Quant aux biens, ils sont surtout le privilège de ceux pour qui ils répriment…

Maurice Rajsfus