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L’Armée et l’industrie d’armement vont-elles devoir se serrer le ceinturon ?

Le jeudi 4 septembre 1997.

Lionel Jospin est rentré cet été tout exprès à Paris, interrompant ses vacances sur l’île de Ré, décider qu’il fallait encore se serrer la ceinture pour que la France puisse être au diapason des critères de Maastricht. Presque tous les ministères sont touchés par les restrictions et (serait-ce pour faire passer la pilule ?) au premier chef la Défense qui doit officiellement réaliser 3,8 milliards d’économies sur un budget global de 240 milliards. L’armée a moins d’argent ; bonne nouvelle ! Avant de pousser un soupir de soulagement, il vaut mieux regarder la situation en détail.

Des réductions budgétaires factices

Ces 3,8 milliards ne doivent pas faire illusion. Ils concernent exclusivement le budget équipement à venir des armées (85 milliards) et pas un sou ne sera rogné sur les 102 milliards prévus pour le fonctionnement. De plus ; ils sont accompagnés d’une rallonge sur le budget en cours, pour frais de Bosnie, de presque 2 milliards, beaucoup moins médiatisée. Mieux encore, les soi-disant économies obligent le ministère des Armées à payer des pénalités aux industriels de l’armement, à hauteur aujourd’hui de l’équivalent de cinq avions Rafale, pour non respect des contrats en cours. Autrement dit : la réduction des sommes folles consacrées à l’armée est de la poudre aux yeux.

L’armée a encore de la réserve

Il n’échappe à personne que le budget de l’armée reste encore insupportablement élevé. Le mouvement actuel de légère réduction de crédits de défense ne relève que de la « bonne gestion » capitaliste. L’argent consacré à préparer la mort n’a jamais manqué. La folle dérive des crédits consacrés à l’arme nucléaire en est un bon exemple, très au-delà des prévisions mêmes des militaires et de leurs critères de « suffisance ». Le porte-avion Charles-de-Gaulle ne sera pas transformé en paquebot de croisière, le char Leclerc (que le monde nous envie (sic) mais dont personne ne veut, eu égard à son prix exorbitant) équipera bien l’armée de terre, et même le stupide avion Rafale n’aura que quelques années de retard. Mieux encore, il va falloir acheter de l’armement dernier cri pour les nouvelles troupes professionnelles et particulièrement pour le nouveau corps expéditionnaire de 60 000 hommes prévus par la loi. Pas de panique chez les marchands de canon, la France compte bien continuer à s’armer à tour de bras, et tout va encore, derrière les effets d’annonce, pour le mieux dans le meilleur des mondes surarmé.

Le marché de la mort se restructure

Côté industrie de l’armement, la tendance n’est en effet pas à la baisse de la production mais à une compétition acharnée, particulièrement avec les groupes américains, pour la conquête de nouveaux marchés. Par exemple, l’entrée dans l’OTAN de la Pologne, de la Hongrie et de la République Tchèque, impose à ces pays de renforcer leur armement. Vont-ils « s’adapter aux normes occidentales » (vocabulaire américain), c’est-à-dire acheter massivement des armes aux entreprises américaines comme la plupart des autres pays de l’OTAN, ou vont-ils, comme le souhaitent les Français, acheter leurs armes aux entreprises européennes ? C’est ce genre de préoccupations capitalistes qui ont conduit J. Chirac à intégrer dans la réforme de l’armée la restructuration de « l’industrie de défense ». Cet objectif, repris sans différence notable par Jospin, consiste à favoriser l’émergence de deux grands groupes. Le premier dans le secteur de « l’électronique de défense », va rassembler Thomson (privatisée avec le maintien d’une participation de l’État) et Matra ou plus probablement Alcatel, avec comme objectif à terme des alliances européennes. Le second doit consister, dans le domaine « aérospatial » en une fusion entre Aérospatiale et Dassault. Pas de trace d’humanisme donc dans tout cela mais au contraire la volonté de s’adapter au plus vite à la mondialisation, de peur (quelle horreur) de ne plus être compétitif sur le marché de la mort en gros.

L’armée revient en force dans la société

Les personnes les moins attentives peuvent croire, avec la suppression du service militaire par exemple, que le rôle de l’armée dans la société va décroissant. Ce serait oublier un peu vite que sous couvert de « plan vigipirate » la France utilise des militaires en armes (y compris des légionnaires, c’est-à-dire des mercenaires) pour assurer la police, ce qui ne s’était pas vu depuis bien longtemps. Dans la même veine, le plan « gendarmerie 2002 » vise à avoir recours à la gendarmerie, c’est-à-dire à l’armée, dans les banlieues un peu chaudes. L’armée aurait-elle des chances de réussite supérieures à celles de la police ? Et, si oui, par quels moyens spécifiques ? Dans un autre genre, l’abandon du « rendez-vous citoyen » pose au pouvoir politique le « problème du lien entre la nation et l’armée ». L’idée la plus en vogue actuellement consisterait à coupler une journée avec les militaires et, par le biais d’une remise au goût du jour des protocoles entre armée et éducation nationale, compléter l’apprentissage de l’amour de l’armée dans le cadre des cours d’éducation civique. On n’a pas fini de rire… jaune !

Franck Gombaud
groupe Sabaté (Rennes)