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Mobilisation en Allemagne

Lundi au soleil ?

Le jeudi 23 septembre 2004.

Épreuve et preuve par 40

Hartz : cinq lettres qui résument l’actu sociale allemande. Hartz : ce directeur du personnel veut faire trimer les travailleurs de Volkswagen 40 heures par semaine, accroître leur « flexibilité » et refuser toute hausse salariale pendant deux ans. Mais Peter Hartz, proche du chancelier Schröder, a également donné son nom à la loi qui vise à réduire l’indemnisation de chômage de longue durée, entre autres réformes de la protection sociale.

Outre-Rhin, le conflit entre le syndicat IG Metall et la direction de Volkswagen a valeur de symbole tant une réputation de fleuron de l’industrie allemande auréole l’entreprise. Mais le statut de VW, premier constructeur automobile d’Europe, donne aussi une dimension internationale à cette lutte, dont le résultat pourrait bien influencer les accords sociaux futurs.

Le constructeur entend réduire les coûts salariaux de 30 % jusqu’en 2011 ; ce qui passe par le gel des salaires de 103 000 employés (sur les 177 000 de l’industrie) pendant deux ans, par le payement des heures sup’ à partir de 40 heures de travail contre 35 aujourd’hui.(1) Les emplois concernés en Allemagne seraient maintenus… sans garantie. Autant de propositions aussitôt rejetées par IG Metall : le syndicat estime que les travailleurs n’ont pas à assumer les errements de gestion des patrons ni à essuyer la chute de 35 % du bénéfice net au premier semestre. D’autant que l’entreprise enregistre encore des bénéfices. Exit donc les 40 heures par semaine ? À voir : en juillet, le puissant syndicat allemand a déjà refusé l’allongement du temps de travail face à Daimler Chrisler… avant de faire machine arrière lorsque la direction a menacé de délocaliser 6 000 emplois. (2)

Délocalisation, chantage ultime. L’émer-gence de redoutables concurrents à l’Est, notamment, fournit un excellent alibi aux entrepreneurs : ils exigent des travailleurs qu’ils abandonnent leurs acquis sociaux sous peine d’être bouffés tout cru par le voisin ou de voir leur outil de production déplacé à l’étranger pour « le bien commun ». L’alternative présentée par de nombreux patrons tient désormais en peu de mots : l’esclavage ou le chômage. Le piège ainsi tendu est d’autant plus vicieux que le choix entre le bâton ou le fouet revient non pas à la direction mais aux syndicats eux-mêmes, contraints d’opter ou non pour des régressions sociales. Il leur reste à refuser ce jeu de dupes, à éviter de cogérer la misère et à établir des solidarités solides au niveau international avec les centrales syndicales des pays de l’Est…

S’il fallait encore se convaincre de s’unir au-delà des frontières ? Le phénomène des 40 heures fait tache d’huile en Europe ! En Allemagne le retour aux 40 heures concerne aussi Opel, en perte depuis cinq ans : la direction réclame simultanément depuis fin août l’immobilisation des salaires jusqu’en 2009, le tout sans assurance pour la protection des emplois. Idem chez Siemens depuis juin. (3) Idem dans la fonction publique de la Bavière et de la Hesse par exemple. (4) Aux Pays-Bas, le ministre de l’Économie souhaite que cette mesure « redevienne la normale ». Même chose en Suède. (5) En Belgique, c’est l’entreprise sidérurgique Ketin qui a souhaité cet été le passage aux 40 heures pour sortir de l’impasse, une demande qui reçoit un large appui du patronat. De Bretagne (avec le volailler Doux) au Doubs (avec l’entreprise de dépoussiérage industriel Cattinair) en passant par la Champagne (avec Ronzat) et par la Garonne (avec Motorola), la France n’échappe pas à l’augmentation du temps de travail. (6)

En filigrane de cet inventaire à la Prévert : la preuve par les 40 heures que travailleurs d’Europe occidentale et voisins de l’Est ne sont pas des adversaires économiques mais sont tous des pièces du Stratego capitaliste, des acteurs malheureux de la construction libérale de l’Union européenne. Une des pistes qui se dessine face aux menaces de délocalisations consiste à aider les salariés de l’Est (7) à obtenir rapidement les avantages sociaux que nous avons déjà acquis : d’abord afin qu’ils ne se fassent pas gruger par des entreprises capables de leur offrir plus et mieux ; ensuite afin que — par équilibre des pressions sociales — cesse le système des vases communicants, et que cesse les déplacements d’entreprises au gré de leur intérêt égoïste.

Mais si les enjeux sont macro-économiques, ils possèdent un aspect micro-économique. Car, comble de cynisme, l’augmentation du temps de travail s’accompagne chez Volkswagen de l’introduction de la concurrence interne entre les sites allemands, pour « favoriser ceux qui acceptent de travailler davantage au moment du lancement de nouveaux modè-les ». Logique de profit poussée jusqu’à l’anthropophagie… Combien même les conditions changent d’un bassin industriel à un autre, les centrales syndicales doivent tendre vers des accords sectoriels afin d’éviter que les ouvriers ne s’entre-déchirent d’une usine à l’autre, dans la course à la productivité et à l’écrasement des charges sociales.

Debout, c’est lundi !

À côté de l’« employabilité » — c’est-à-dire l’embauche au prix plancher, donc dans des boulots précaires, de personnes « flexibles » (comprenez : déterminées à conserver leur travail) ; à côté des menaces sur ceux qui ont encore un emploi stable, il y a la fin des allocations des chômeurs prévues par le chancelier Schröder… La colère monte. Un mouvement qui se veut basé sur la démocratie directe, « méfiant à l’égard des appareils politiques ou syndicaux, soupçonnés de vouloir récupérer le mouvement » (8) organise des manifestations le lundi. Clin d’œil de l’histoire aux manifs du lundi qui se déroulèrent en RDA en 1989 jusqu’à la chute du Mur.

Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont ainsi descendues dans les rues de quelques 200 villes lors des « lundis de manifestations » pour contester les réformes de Schröder. (9) Contenues dans l’« Agenda 2010 », celles-ci doivent entrer en vigueur en janvier 2005 et prévoient une réduction des aides aux chômeurs de longue durée, des contrôles « plus rigoureux » des démarches effectuées par les chômeurs de longue durée pour retrouver du travail et des « incitations » à accepter les emplois proposés. Une démarche similaire a été instaurée en Belgique par les libéraux, avec l’approbation des socialistes : le chômeur doit désormais prouver, lettres de candidatures en main, sa recherche « active » d’un travail, ainsi que le Monde libertaire l’avait déjà présenté.

C’est donc une opposition ferme qui se lève face aux réformes du travail prévues par le gouvernement, surtout dans les régions de l’ex-RDA, où les chômeurs — frappés de plein fouet par ces mesures — composent pratiquement 20 % de la population active, soit plus du double du pourcentage de sans-emploi en Allemagne de l’Ouest. (10) Cette scission entre l’ex-Allemagne de l’Ouest et celle de l’Est caractérise ce paradoxe : toute progression de l’État-providence anesthésie les exigences profondes des travailleurs. Celles-ci ne se réveillent qu’avec la certitude d’avoir à affronter des conditions pénibles. Peut-on décemment souhaiter un effondrement social qui amènerait (comme par enchantement) une « révolution » ? Laissons ce calcul froid aux stratèges, qui maintiennent le couvercle sur la marmite… parce qu’ils se trouvent du bon côté du couvercle. (11) Si la crise que traverse l’ancienne RDA voit naître un puissant mouvement de gauche, elle assiste également en Saxe à la résurrection des néonazis du NPD, qui trouvent une audience croissante dans les « manifestations du lundi » auxquelles ils participent depuis le début… Les sondages les créditent de 8 % des intentions de vote aux prochaines élections régionales. À prendre comme une mise en garde pour les aficionados culinaires du couvercle sur la casserole. Alors ? Alors les libertaires ne peuvent probablement qu’engager les travailleurs à réclamer plus et mieux, en tout temps et lieu, jusqu’au point de rupture et lutter avec eux — sur le terrain ! — jusqu’à la justice sociale.

Résurgence des manifs de 89, ces manifestations du lundi, où l’on scande « Nous sommes le peuple ! », ont le don d’agacer le Parti social-démocrate de Schröder. Il n’y a, pour le SPD, aucune comparaison possible entre l’époque du totalitarisme de la RDA et aujourd’hui. Peut-être que se poser (sincèrement) la question ce serait y répondre, à la façon de Bakounine : « le socialisme sans la liberté, c’est l’esclavage et la brutalité et la liberté sans le socialisme, c’est le privilège et l’injustice ».

Passer aux 40 heures n’absorbera en rien le moindre pourcentage de chômeurs mais sabotera notre santé, nos temps libres. Pour ne plus perdre sa vie à la gagner, partage du travail, partage des richesses. Ni chômage ni esclavage !

Hertjie, groupe Ici et maintenant de la FA (Bruxelles)


1. La Libre Belgique, 13 septembre 2004.

2. Belga, 9 septembre 2004.

3. AFP, 27 août 2004.

4. Idem.

5. Libération, 27 août 2004.

6. Idem.

7. Et les salariés de partout, bien entendu…

8. Le Monde, 31 août 2004.

9. Idem.

10. Idem.

11. Les spécialistes du genre, on en trouve du côté des marxistes-léninistes du Parti du travail de Belgique.