Avant d’ouvrir ce livre, j’ai buté sur le titre, en grommelant : il m’a paru un peu racoleur, Le Droit à la mort. Qu’est-ce que la notion de droit venait bien faire en la matière ? Autant que je me souvienne, je constate que ceux de mes amis qui ont choisi, encore jeunes et la tête non embrumée par la maladie, de passer de la vie au néant l’ont fait sans quémander l’autorisation de personne. Du droit, ils n’ont eu que faire… D’autres, piégés par une mortelle maladie, non attendue, pour abréger des souffrances inutiles, ont sollicité de leurs proches un coup de main final qu’ils ne pouvaient plus se donner à eux-mêmes. Suicide, assistance au suicidé, euthanasie (l’assassinat, c’est encore autre chose)… Du droit, là encore, nous ne nous en sommes nullement préoccupés, et nous nous plaisons toujours à ignorer une loi de 1987 qui interdirait toute information sur les moyens de se donner la mort.
Naguère, en d’autres domaines comme la vasectomie, le refus d’obéissance militaire (et j’en passe), tous actes autrefois délictueux, et maintenant encore avec les faucheurs d’OGM, nous n’avons jamais pensé, au moment d’agir, à nous abriter sous le parapluie du droit. La légitimité que l’on s’accorde à soi-même, par le passage à l’acte, par une désobéissance ouverte aux lois, désobéissance civile ou civique, par l’action directe, etc. suffit… De même pour l’avortement et la contraception qui exigent pourtant des moyens institutionnels que nous nous garderons de mépriser ; car dans la société actuelle, les droits conquis par la lutte et maintenus par la lutte ne sont pas à négliger.
Mais, pour mourir volontairement, et en pleine possession de nos moyens intellectuels, nous n’avons que faire du droit. La pensée jusque-là tout à fait radicale de Claude Guillon serait-elle en train de se social-démocratiser ?
Non ! il fait le point, il récapitule, il collationne, comme il en a pris le pli ; avec précision, quasiment exhaustif ; ses fiches du déroulement de l’action sont sans défaut.
Rappelons que Suicide, mode d’emploi, publié en 1982 et écrit avec Yves Le Bonniec, connut un grand succès sans pour autant dépeupler la planète. 100 000 personnes l’achetèrent, il fut traduit en six langues.
Mais, en 1995, le parquet obtenait l’interdiction et la condamnation de l’éditeur Alain Moreau. Nous voulons penser que le livre fut condamné pour un seul chapitre, le Xe, qui donnait des renseignements et des listes de médicaments pour mourir facilement et en douceur. Ces indications étant maintenant plus ou moins caduques, on trouvera, sans plus de difficulté, tout ça sur Internet. Des petits malins en font commerce.
Je n’ai pas lu Suicide, mode d’emploi, et ne suis sûrement pas le seul militant dans ce cas. Manque de curiosité ?
Il faut dire que lorsqu’on a eu la mort au cul à peine né et que, sans désemparer, la Dame noire au baiser sans lèvres s’est affichée en permanence à vos côtés, demander le droit de dormir dans son lit ne vient pas si aisément à l’idée. On l’évite poliment, sans pour autant qu’elle perde la face. Sauf grosse fatigue, sauf conditions exceptionnelles et dramatiques, l’envie de s’étendre sur sa couche peut attendre. « Vivre » a d’abord été le mot d’ordre. Pas vivre n’importe comment, bien sûr, mais vivre, aimer, créer et militer…
Ce qui prend quasiment toutes les heures du jour et distrait l’esprit d’autres préoccupations. Car le temps manque toujours. Mais on sait que la Dame est plutôt patiente, elle a l’habitude d’attendre… et que son heure viendra, inexorablement. Alors ?
Alors il y a qu’on veut y mettre les formes. De même que nous cherchons à ne pas vivre n’importe comment, nous voulons donner un sens à cette vie qui n’en a peut-être aucun (c’est notre façon à nous de nous tenir debout). De même nous voulons donner des formes à notre mort.
Il existe des gens qui militent pour le droit de mourir dans la dignité, et ce droit commence à être reconnu dans d’autres pays et le sera un jour dans le nôtre. Mais il ne s’agit pas là du droit de mourir tout court car ce droit-là ne se demande pas, il se prend.
Vous qui aviez raté le coche de Suicide, consolez-vous : vous trouverez dans ce nouveau livre l’essentiel du premier et quelques passages supplémentaires, excepté ce fameux chapitre X avec la « recette » à Berthelot, le bouillon d’onze heures assuré « aller simple ».
Ainsi, Claude nous conte avec force détails les aventures judiciaires d’un bouquin interdit, tous les événements qui ont accompagné le parcours d’un livre à scandale, les réactions bonnes ou mauvaises des lecteurs, les procès et arguties des juges, ce qu’en ont dit les journaux, les revues, et aussi les menaces proférées par certains, les comportements des journalistes qui voulaient à tout prix des photos des deux « coupables ». Claude me reprochera de n’en pas dire plus, mais son histoire est fourmillante jusqu’à plus soif…
André Bernard