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Lecture

À quoi rêvent les loups ?

Yasmina Khadra
Le jeudi 19 avril 2001.

Petit ouvrage, publié aux éditions Pocket (pas très cher). Il n’a l’air de rien, au départ : il parle de l’Algérie. Encore l’Algérie ? Justement ! L’introduction est forcément brutale. « Pourtant, de toutes mes forces, j’ai cru que jamais ma lame, n’oserait effleurer ce cou frêle, à peine plus gros qu’un poignet de mioche, ce soir là. »

C’est bien de savoir, alors, comment Nafa Walid a tué son premier homme, le mercredi 12 janvier 1994, à 7 h 35. «  descends-moi ce fils de pute ! » Et comment, aussi, on peu, en effet, en arriver là ? L’histoire commence dans le grand Alger,

« L’Algérie, le plus grand archipel du monde constitué de vingt-huit millions d’îles et de quelques poussières, mais sans omettre d’ajouter que, les océans de malentendus qui séparent les Algériens, les uns des autres sont, eux aussi, les plus obscurs et les plus vastes de la planète. » Nous sommes donc, nous lecteurs, aux côtés de Nafa Walid. Il est beau et il est gentil. Un peu trop beau, et un peu trop victime, à mon goût. Mais, on ne va pas commencer à ne pas l’aimer pour ça, puisque c’est lui qui va nous accompagner, tout doucement, au travers de ce roman, à comprendre pourquoi, malgré lui, il en vient à choisir le FIS.

Il vit dans la Casbah . Ça, c’est bien avant l’horreur, bien avant le FIS et l’Intifada. Il a envie de faire du cinéma, de se faire son cinéma. Mais le cinéma ne veut pas de lui… malgré sa belle gueule. Alors, comme il n’a pas de travail… il devient chauffeur de taxi chez les riches algérois, dans la famille Raja.

Les riches l’acceptent, non sans rechigner, à condition qu’il accepte en retour leurs conditions : se faire tout petit, petit comme un chauffeur de taxi, pour les riches qui vivent dans les quartiers qui leur sont réservés, de la grande Alger, loin de la Casbah. On lui concède une petite chambre, où il doit toujours rester, disponible. Pour des plaisirs de riches (les culs de la bourgeoisie twistent !) : la belle vie, loin de la plèbe, avec ses plaisirs, ses piscine, sa cocaïne, son égoïsme.

Pas pour Nafa, en tous cas, lui ne fait que les transporter. Jusqu’à ce qu’il soit témoin de l’inacceptable. Un meurtre en direct. Puisqu’il ne l’admet pas, il est bien sûr, expulsé de chez les riches, pour retourner à la Casbah, où il refuse d’accepter ce qu’il a vu. Et pourtant, il l’accepte. De retour à la Casbah, parmi sa famille soumise aux dures lois de la réalité, il sera malgré lui attiré par les beaux parleurs intégristes.

Les islamistes terroristes et intégristes savent eux, justement causer aux jeunes gens désœuvrés et paumés. Même s’il n’adhère pas sur le fond, il finit, malgré lui, par en adopter la forme. Il n’a pas le choix. Sinon l’alternative laissée par un vieux poète résistant à la vague, largué dans les nébuleuses de ses espoirs opiacés. La terreur sexiste est là aussi. Les jeunes filles non voilées rasent les murs d’Alger.

Il finit par croire. En quoi ? À qui ? Enfin, il finit par se faire avoir par l’horreur ! Bon, ce n’est que le contexte. Et bien loin de moi vouloir, se faire égarer le lecteur dans le texte, qui parmi l’horreur, est parfois si beau. Car malheureusement, Nafa ira jusqu’au bout de l’horreur, de l’horreur, de chez l’horreur ! L’auteure présumée du roman a reconnu par la suite être un homme, ancien officier de l’armée algérienne qui a pris la plume clandestinement, pour nous la raconter, justement, l’horreur !

Il est certain, en tous cas, que si nous ne cherchons pas à comprendre les mécanismes, qui amènent à l’acceptation de la terreur et de l’horreur de l’accepter, nous ne ferons, alors qu’en constater les dégâts ! Et ça, on ne le veut pas !

Personnellement, je tenais à connaître comment ces mécanismes se mettent en place. Ce sur quoi ils reposent, comment ils pénètrent les « pauvres innocents » que nous ne sommes pas, et que nous ne serons, j’ose l’espérer, jamais ! Ni dieu, ni maître… la seule voie, à mon sens, qu’il nous reste, pour garder notre libre arbitre. Pour ne jamais accepter l’inacceptable et ses dérives religieuses. Ce qui ne nous épargne pas, pour autant, le libre choix de prendre le temps d’en comprendre les mécanismes. Un excellent ouvrage, donc, à mettre entre toutes les mains averties ! Avanti et No Pasaran !

Patrick Schindler. — Claaaaaash