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« La Libre pensée en France 1848-1940 » Jacqueline Lalouette

août 1997.

Comme le laisse supposer le titre, il s’agit de la publication d’une thèse de doctorat d’histoire. Un peu plus de six cent pages pour faire le tour de la question ; en fait à peine plus de quatre cents pages si l’on excepte les notes, notices, index, bibliographie… Rien d’effrayant donc, d’autant qu’on va là se replonger dans cette passionnant époque et qu’en outre, on va l’observer sous un jour particulièrement intéressant en ces temps de « retour de l’ordre moral »…

Une pensée libre… et plurielle

Ce n’est pas seulement l’histoire des « sociétés » de Libre Pensée qui nous est contée mais celle de leurs fondements philosophiques et de leurs combats. Qu’ils soient anticléricaux, antithéistes, ou parfois déistes, les libres penseurs entreprirent leurs premiers combats en affirmant leur opposition aux cérémonies religieuses, à commencer par les enterrements. Les adhérents aux sociétés de libre pensée s’engagent en effet à se faire enterrer civilement.

Le nombre de ces sociétés augmente rapidement après la Commune, pour atteindre son apogée aux alentours de 1905 [1]… On y trouve alors toutes sortes de républicains, surtout socialistes, allemanistes, des anarchistes, des blanquistes et s’expriment alors diverses sensibilités : certains prônent une « foi civile », d’autres militent en faveur de l’athéisme.

Jacqueline Lalouette laisse supposer nombre de dissensions au sein des instances fédérales qui changent parfois de nom, scissionnent, fusionnent, etc. Elle n’entre cependant pas dans le détail des explications, du moins jusqu’à la guerre. Cela devient plus évident ensuite, surtout après 1920, date de la création du parti communiste. L’idéologie totalitaire fera sont œuvre de saccage dans le mouvement libre penseur. On reste donc sur notre faim en ce qui concerne les enjeux politiciens auparavant même si, l’auteur est en revanche remarquablement précise quant aux rapports entre libres penseurs et francs-maçons, certains ayant la double appartenance.

C’est tout de même principalement la grande guerre qui démantèlera les organisations, appelant les hommes au front et laissant ainsi aux curés le temps de réendoctriner les femmes. Avant la guerre, celles-ci étaient d’ailleurs assez souvent mal vues dans les sociétés locales et nationales de la libre pensée. Les statuts des sociétés sont assez divers.

Concernant les femmes, parfois assimilées à des mineures, elles ne disposaient pas de voies délibératives, parfois aussi elles étaient exemptes de cotisation… Dans une ambiance plutôt sexiste, les femmes resteront donc très minoritaires dans la Libre pensée.

Peu après 1900, les sociétés de libre pensée se rendent compte que « Enterrer est bien. Faire vivre, c’est mieux ». Commença alors la constitution de bibliothèques, commença alors le temps des conférences… Des orateurs comme A. Lorulot, A. Lapeyre, S. Faure étaient écoutés parfois par plusieurs centaines de personnes qui payaient pour entrer… Il est vrai que la réunion était souvent animée puisqu’on y invitait fréquemment un curé pour la contradiction…

L’auteur nous donne alors nombre de détails évocateurs de la propagande d’alors. On rencontre bien sûr des « bouffeurs de curé » - et il est vrai que c’est parfois vraiment consternant - mais aussi des « honnêtes hommes » à la recherche d’un idéal philosophique et de nouvelles valeurs sociales.

Tous ont milité pour la séparation de l’Église et de l’État, ce fut le mot d’ordre jusqu’à son obtention par la loi de 1905. L’élaboration de la loi elle-même est relatée, et l’on peut constater clairement le rôle des députés libres-penseurs. On verra que cette loi n’est simplement la conséquences des discours acharnés d’un petit père… mais aussi le résultat de vingt-cinq années de lutte.

Jacqueline Lalouette n’est pas une libre penseuse. C’est peut être à cause de cela que l’on reste parfois sur sa faim ; c’est peut-être grâce à cela que l’on bénéficie du regard distant d’une historienne qui visiblement emploie les archives avec toutes les précautions nécessaires. Elle fait la part des choses et nous livre un travail non seulement intéressant mais incontournable par sa richesse d’information.

Il reste au lecteur à s’interroger sur le recul de la libre pensée après 1905, c’est-à-dire après la « victoire ». Certains ont compris que le combat ne s’arrêtait pas là, et l’on constate aujourd’hui combien — ne serait-ce que sur le plan de la stricte séparation des biens — la vigilance est toujours nécessaire. Il suffit de lire ces pages sur la « laïcisation de l’État » (l’école, les services hospitalier…) pour voir d’où l’on vient… et où certains voudraient nous faire retourner…

Jacqueline Lalouette a fait le tour des terrains où s’exprime la laïcité, allant même dans les « cimetières sans croix » puiser ses informations ! Le libre penseur prendra aussi plaisir à la lecture de citations de textes rarissimes…

À lire, au soleil ou sous la pluie, et à conserver…

Le Furet


Albin Michel, 180 FF.


[1En juillet 1905, l’Association des libres penseurs de France regroupait plus de 25 000 adhérents.