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L’Influence cléricale en Bretagne

Le vendredi 8 août 1997.

Le poids de l’Église catholique en Bretagne est ancien et reste, malgré les évolutions socio-économiques connues par la région, très prégnant dans de nombreux domaines.

L’Église catholique a géré et gère encore plus ou moins directement des établissement scolaires (40 % des enfants du premier degré sont scolarisés dans le privé, 17 % en Basse Normandie par comparaison), caritatifs, hospitaliers.

Elle contrôle de près ou de loin une partie non négligeable du mouvement associatif. Elle dispose avec Ouest-France, premier quotidien régional de France, héritier d’Ouest-Éclair fondé par l’abbé Trochu, d’un relais médiatique de première importance. Dans l’Île-et-Vilaine notamment, Ouest-France possède de fait le quasi-monopole de l’information, bien au-delà de la presse écrite. François-Régis Hutin, son actuel PDG, était symboliquement assis à la droite de Jean-Paul II lors de la venue de ce dangereux personnage à Sainte-Anne d’Auray en septembre dernier…

Une bonne partie du personnel politique de droite comme de gauche est l’émanation plus ou moins directe de l’influence cléricale. Méhaignerie et Madelin ont fait de leurs fiefs respectifs (Vitré et Redon) de véritables déserts pour l’école publique.

Nombre de membres du PS sont aussi issus des différents courants catholiques : Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Jeunesse agricole chrétienne (JAC)…

Un œcuménisme gauche-droite

Rien d’étonnant dans ces conditions que des convergences, dont seuls les naïfs pourront s’étonner, existent voire se multiplient : c’est le luxueux campus de Ker Lann, d’origine confessionnelle, à quelques kilomètres de Rennes, financé à la fois par le Conseil régional et le Conseil général, tenus par la droite, et par le district de Rennes contrôlé par l’ineffable Edmond Hervé, maire PS de Rennes. Ce sont les subventions votées à l’unanimité par le Conseil général du Morbihan (y compris donc par les représentants du PS et du PC) pour la venue du pape en automne dernier.

Plus grave est le parasitage clérical dans le domaine social. L’éditorial de François-Régis Hutin dans Ouest-France du 12 juillet dernier, en hommage à J.-M. Domenach, intellectuel catholique et collaborateur de Ouest-France depuis 1974, évoque la tradition spirituelle dont se reconnaissent tous ces calotins. Celle de la revue Esprit (qui existe toujours), fondée par Emmanuel Mounier dans les années 30. Ce dernier prônera ensuite la révolution nationale avec Pétain et tiendra des conférences à l’école d’Uriage, chargée de former les « nouvelles élites ». Une citation de ce personnage, fondateur de la théorie du personnalisme résume assez bien sa perception du social : « La force vive de l’élan personnel n’est ni la revendication (individualisme petit-bourgeois) ni la lutte mais la générosité et la gratuité, c’est-à-dire le don sans mesure et sans espoir de retour. »

Cela s’intègre totalement dans le programme social de l’Église élaboré au début du siècle pour combattre les idées du mouvement ouvrier construit sur la lutte des classes. Aujourd’hui, ce programme est actualisé, plus « soft », plus « gauche ». Il parle « d’entreprise citoyenne » ou de « partage du travail » mais reste basé plus ou moins ouvertement sur le corporatisme, c’est-à-dire l’union la plus consensuelle possible du patron et de l’ouvrier dans l’entreprise (« tous frères »).

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la CFDT soit le premier syndicat breton et soit actuellement très impliquée dans la mise en place de la loi Robien dans un maximum d’entreprises.

Plus anecdotique mais significatif tout de même : le tout nouveau coordonnateur des syndicats FSU (premier syndicat dans l’éducation nationale) en Bretagne est un enseignant « promu » diacre par l’église catholique en mars dernier ! Cela a fait tousser fortement les enseignants de la tendance « École émancipée » de la FSU et une partie de la base, notamment dans les Côtes d’Armor. Mais rien de plus…

Que la Fédération anarchiste se soit retrouvée quasiment seule, en tant qu’organisation, en septembre dernier pour organiser la « malvenue au pape » en Bretagne n’a donc rien de surprenant.

Beaucoup plus surprenant pour certains par contre (et la surprise ne fut pas bonne pour tous) et rassurant pour nous de voir que notre initiative, malgré le boycott médiatique qui l’a précédé, rassemblait à Lorient le 14 septembre des milliers de personnes conscientes du danger clérical « en latin, en arabe, ou en hébreu » et de la nécessité de se battre encore et toujours pour la pensée libre.)

Fabrice
groupe La Commune (Rennes)