Quand le quidam curieux et militant cherche à épancher sa soif de connaissance du mouvement anarchiste international, il n’y a « bien sûr » qu’une seule adresse : 145, rue Amelot, à Publico. Pour ce qui se rapporte aux mouvements espagnol ou russe (pour ne citer qu’eux) pas de problèmes. Mais pour l’anarchisme allemand, le choix est plus restreint, quelques textes de Mühsam, de Rocker mais des miettes par rapport au festin. Jean Barrué dans la préface à la réédition des Soviets dans la révolution russe (Éditions Spartacus), il y a près de trente ans, regrettait déjà le manque de traductions [1]. Aujourd’hui à consulter le menu (à part Mühsam), la situation n’est guère plus florissante. Depuis des lustres, on entend parler de la parution de Nationalisme et Culture (Rudolf Rocker) mais, « sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?… [2] »
Si l’on examine le problème un peu plus attentivement, on s’aperçoit que sur la République des conseils en Bavière, les ouvrages existent. Mais que sur la FAUD (Freie Arbeiter Union Deutschlands) et le mouvement anarchosyndicaliste, à part une brochure sur la Seconde Guerre mondiale (éditions du Monde libertaire), un article dans la troisième livraison d’Increvables Anarchistes (Le mouvement anarchiste allemand), c’est presque le désert complet. On en est réduits à rassembler les rares pièces d’un immense puzzle. Si Rudolf Rocker avait connu la PAO, le manuscrit de ses mémoires (conservé à Amsterdam) serait disponible à toutes et à tous [3] !
Un dernier exemple atypique est un livre consacré à Carl Einstein (C. A. 1885-1940. Itinéraires d’une pensée moderne : monde germanique par Liliane Meffre). Que savions-nous de C. Einstein avant ce livre ? Sa participation à la colonne Durruti et l’éloge funèbre qu’il fit à la mort de celui-ci. Le livre n’apporte pas beaucoup plus sur les rapports d’Einstein avec le mouvement anarchiste organisé [4]. Pourtant à Berlin, où il vécut longtemps, la FAUD avait locaux et presse…
La publication par les éditions de la Digitale d’Ascona d’Erich Mühsam apporte infiniment plus (Erich Mühsam a ceci en commun avec Einstein qu’il a vécu les mêmes événements, mais ils ne se sont jamais rencontrés !).
Il s’agit en fait de plusieurs textes [5] — Ascona, Bohème, Lettre à Sigmund Freud, Culture, Civilisation et mouvement des femmes, Littérature inédite, Hardi le hardi poète — qui retracent bien la vie et l’œuvre de Mühsam. Un anarchiste aux nobles sentiments (Ein Edelanarchist) situé entre la bohème et le prolétariat comme le rappelle Roland Lewin dans son excellente présentation. Le texte Max Nettlau et ses visites à Berlin chez Rudolf Rocker nous éclaire un peu mieux sur les relations de Müsham avec l’anarchosyndicalisme allemand. Ayant été plus proche (voire adhérent) de la FKAD (Fédération des anarchistes communistes d’Allemagne) et de l’Union anarchiste de Berlin que de la FAUD, il n’en était pas moins édité par les éditions de cette dernière (Verlag Der Syndicalist. Berlin)…
De toute façon, ne gâchons pas notre plaisir et découvrons « un écrivain original et attachant qui soulignait la parenté entre les gens de la bohème et de l’anarchie. En effet, les uns et les autres s’insurgent contre l’ordre établi, la morale courante, les conventions ». En attendant les autres morceaux du gâteau !
Thierry, groupe Pierre-Besnard