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« Après la catastrophe », Jean-Pierre Levaray

Le jeudi 13 mars 2003.

L’expression délibérément scandaleuse et provocatrice des surréalistes des années vingt : « Et guerre au travail ! » n’a cessé de résonner en moi à la lecture de Putain d’usine et a trouvé son écho amplifié à celle d’Après la catastrophe qui vient de paraître chez le même éditeur : L’Insomniaque [1]. Dans le premier ouvrage, J.-P. Levaray nous montrait les conditions de travail dans une « usine à risques » et le quotidien des ouvriers qui y sont attachés ; l’actualité lui a donné la triste éventualité d’évoquer l’aboutissement tragique, l’accident prévisible que peut connaître une telle usine, la mort d’ouvriers et le malheur irréparable de tant de familles.

Longeant la route, plutôt bien agencée, avec ses voies séparées qui mènent vers la chaîne des Pyrénées et l’Espagne, on peut voir, sur la gauche, ces blocs cubiques, ces tours carrées qui évoqueraient, s’il en était besoin, une autre catastrophe, par une étrange coïncidence, voisine dans le temps. Mais ceci installé dans le regard, on ne peut que s’étonner de la proximité des bâtiments de l’usine AZF et des maisons d’habitation, pour la plupart occupées par les ouvrières et les ouvriers de ladite usine et leurs familles. À tel point que le regard du conducteur a du mal à différencier les habitations, écoles, magasins, des éléments propres à l’usine. On comprend alors que la trentaine de morts, les milliers de blessés et les chocs psychologiques à la suite de la secousse qui atteignit 2,4 sur l’échelle de Richter, comme le précise J.-P. Levaray dans ce second ouvrage Après la catastrophe qui nous permet une approche sensible de l’événement.

Survenant dix jours après les attentats aux USA, cet accident d’une ampleur considérable a provoqué, sur le coup, une réaction de peur et d’amalgame assimilant les trois événements dans une même caractérisation. Le livre de J.-P. Levaray nous permet, en resituant l’accident dans le contexte précis de l’industrie chimique, de le replacer sur le terrain de la lutte sociale, du profit et du champ capitaliste. Mais ce livre, avec ses évocations de situations particulières, de problèmes personnels, de douleurs, de chagrins, de vies brisées et de deuils, nous situe au plus près de l’être, qu’il soit victime ou témoin de ce drame ou observateur. Loin de la position de l’analyste froid, fût-il objectif, il parle avec les témoins, leur laisse la parole, même s’il la sollicite. L’approche reste au niveau de la communication. Et cela fonctionne à merveille. Parce qu’il sait, par-delà la douleur, le traumatisme, échanger avec les collègues, les sentiments, la peine, le désespoir et la révolte, le combat quotidien, l’état de défense permanent qu’il convient d’adopter au jour le jour.

Et puis, regard du témoin mais ferme position de l’écrivain, il sait lire les choses, les approcher, prendre du recul et, sans lâcher ses convictions, offrir au lecteur ce qu’il faut voir. Ce goût du témoignage qui se fait jour dans ces deux ouvrages et le plaisir d’écrire qui s’en dégage sont là pour nous faire espérer d’autres lectures.

Aurélien Dauguet


[1L’Insomiaque, 63, rue de Saint-Mandé, 93100 Montreuil. Voir dans le numéro 4 d’Un autre futur, revue de la fédération CNT de la Communication, de la Culture et du Spectacle l’article de Maxime Vivas : « À moins que la rue ».