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« Un Jardin dans la maison », Jean-Michel Bongiraud

Le jeudi 27 février 2003.

C’est un concours de circonstances qui me fit découvrir le poète Jean-Michel Bongiraud, concours de circonstances dont Le Monde libertaire fut le médiateur principal et tout à fait involontaire (merci, camarades !) : à l’origine de cette lecture donc, une lettre de Jean L’Anselme me remerciant d’un article publié dans Le Monde libertaire. (février 2002, nº 1268). Réponse immédiate (alors qu’il était alité), et compliment aussi élogieux que spontané ; je ne ferai pas mystère de mon émotion d’alors… mais en aparté figurait une confidence : « Figure-toi que Bongiraud l’a remarqué (ton article), il lit donc le ML, ce voyou ! » Curiosité aiguisée, nouveau courrier, nouvelle réponse : « Bongiraud, dont je te parlais et qui ne t’est pas connu, dirigeait une petite revue intéressante aux idées indépendantes intitulée Parterre verbal. Mais il a dû fermer boutique, donc fermer sa gueule. »

Cet été 2002, je fis donc connaissance avec le Parterre verbal de Jean-Michel Bongiraud. J’y découvris une extrême simplicité toute de rugosité et de rigueur, en butte à l’expression d’un quotidien qui interroge le monde et que le monde interroge ; aussi la recherche obstinée d’un passage entre l’humilité d’un constat et une ouverture qui l’ennoblirait, une sorte de pont par où s’évader de « la bassesse du monde/en chacun de nous ».

Il suffit d’énoncer deux titres : Les Mots de la maison 1 et L’Ombre de la bêche 2, pour être introduit dans l’univers poétique de Jean-Michel Bongiraud. Ces poèmes sont l’expression, au plus près, des objets de la maison ou des outils du jardin. La beauté brute. Celle d’une assiette, d’un bol, d’une poubelle ou d’une nappe :

La beauté se trouve plus souvent
 dans le défaut d’un bois brut
 que dans le motif élégant d’une nappe.
 La vie s’offre dans l’un
 et paraît dans l’autre
.

Mais pas un seul poème qui ne s’achève sur une allusion à la condition humaine, entre espoir et désespoir, tendresse et désenchantement (ainsi : Dans la vie, l’ajustement est illusoire — La vie, une trouble distraction — Le bonheur attend une greffe — La rose éclôt contre la vermine, qui sont comme les leçons du jardin.2 Les leçons de la maison 1 y sont tout aussi évidentes, mais il faudrait citer les poèmes intégralement) qui le met à l’abri d’un minimalisme dont la platitude et la médiocrité deviennent par trop envahissantes.

Cueillir un mot.
 Lui assurer la vie
.

C’est que Jean-Michel Bongiraud, poète digne de ce nom, s’interroge sur le langage, sur son rapport au réel (il n’y a pas de mots dans la nature). Et Le Livre des silences 3 est riche de cette réflexion, avec la distance nécessaire : « Ce n’est pas la sincérité qui attache le poète à son œuvre, mais sa lucidité. La lucidité devant le poème s’entend par le bien-être physique. Lorsque la douleur est là, elle ne supporte rien d’autre, et du poète elle annihilera toute tentative d’écriture. »

Alors, même si « un poème reconnaît toujours son auteur », il me semble aussi reconnaître Jean-Michel Bongiraud dans la lecture du livre des silences.

Claude Kottelanne

1. éditions Gros textes, Fontfourane, 05380 Châteauroux-les-Alpes, 5 euros.

2. éditions Raffia, Alain Lucien Benoît, 912, chemin de Bel-Air, 30650 Rochefort-du-Gard, 8 euros. 3. éditinter/poésie, 12 euros.