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Air Lib

Un Échec au compte de qui ?

Le jeudi 27 février 2003.

Le transport aérien comme tous les transports doit être traité comme un service public. Son usage doit être accessible à chacun et à tous en toute sécurité.
Voies Libres



Air Lib a été déclaré en faillite. Dans les prochains jours, le dépôt de bilan sera constaté et 3’200 salariés iront pointer au chômage. Tous ne sont pas pilotes à 50’000 balles par mois, parmi eux, il y a de nombreux « smicards » du transport aérien. Pour les personnels au sol, les hôtesses et les stewards, le temps n’est pas à se repositionner dans les compagnies aériennes du monde entier. Les perspectives sont funestes. Les derniers salariés licenciés en 2001 d’Air Lib sont encore aux deux tiers sur le carreau et tous en sont conscients. Mais, au-delà de cette misère annoncée, l’urgence est à comprendre les raisons de cet échec économique. Cela peut permettre, au moins dans un premier temps, de demander des comptes à qui de droit.

L’aboutissement d’une longue histoire

Air Lib n’est pas née d’hier mais est le résultat de fusions et concentrations de compagnies aériennes françaises ou étrangères. Sa faillite d’aujourd’hui n’est pas isolée et est l’aboutissement de multiples restructurations du secteur. Mais en premier, elle puise ses origines dans une compagnie aérienne Air Outre-mer constituée il y a plus de trente ans par le pouvoir gaulliste. Le gouvernement de l’époque avait créé cette compagnie pour satisfaire en premier sa capacité de se financer et au-delà alimenter les potentats d’outre-mer. Il avait assuré le financement en lui réservant une part importante des passages des fonctionnaires entre la métropole et leurs lieux d’affectation. C’est donc à partir des fonds de l’État que celle-ci avait puisé ses ressources. Certains au pouvoir aujourd’hui, y compris au plus haut niveau, n’ont pas été étrangers à cette opération. Puis, il y a eu Minerve, une des premières compagnies charters qui fusionna avec la première citée pour créer AOM et selon les caciques de l’époque le deuxième pôle aérien français en concurrence d’Air France, compagnie nationale à capitaux d’État.

En parallèle, fut créée la compagnie Air Liberté qui fusionna avec TAT. De même fut créée Air Littoral qui correspondait aux prestiges de certains politiciens du Sud-Ouest. Tout cela avec la bénédiction de l’État et des pouvoirs successifs qui pouvaient ainsi régaler leurs petits copains. Puis en 2000, la compagnie Swissair, bien mal en point, l’avenir le dira, voulue se positionner parmi les compagnies leaders au plan mondial. Elle acheta alors Air Littoral, Air Liberté, AOM et Sabena, ex-compagnie nationale belge. C’est à ce moment qu’apparaît le baron Seillière qui se fait le porteur de valises pour les suisses puisque ceux-ci, faute d’appartenir à l’Union européenne, devaient se trouver un prête-nom. Il y investit quelques fonds qu’il se garantit par ailleurs. En clair, ce porteur de parts n’avait aucun risque et on peut penser aujourd’hui qu’il a même dû en tirer profit malgré ce qu’il affirme. Les maîtres des Forges ne sont pas habitués à se faire saigner ! Ces rachats se traduisirent déjà à l’époque par des licenciements, mais Seillière, copain de promo de Jospin, ne fut pas inquiété pas le camarade Gayssot, la gauche plurielle exigeait une certaine paix sociale garantie par un ministre communiste même en déliquescence.

Malheureusement pour les salariés des compagnies concernées, la baudruche Swissair allait se dégonfler et faire apparaître un déficit de plusieurs milliards. Le joyau suisse du capitalisme populaire avec ses milliers de petits porteurs s’est effondré et notre gouvernement de la gauche plurielle en France se retrouvait face à une catastrophe économique doublée d’un problème social. La solution passait alors par une restructuration qui vit, entre autres, Air Littoral reprendre sa liberté et la constitution de la compagnie Air Lib, positionnée de nouveau en deuxième pôle aérien français, donc concurrent d’Air France, et financée par des fonds publics soit via des charges sociales impayées, soit via des prêts publics. Pour la petite histoire, la direction de cette compagnie a alors été confiée à des camarades ou des compagnons de route. Remarquons que dans le même temps, le kamarade Gayssot engageait la privatisation d’Air France au titre du réalisme économique, ce qui lui permit de s’assurer une certaine tranquillité en distribuant quelques actions aux pilotes.

Nous relatons ces faits dont les salariés furent tout au long les otages, et leur licenciement aujourd’hui est le résultat de la pratique des politiques et des boursicoteurs. L’État et le capital sont les seuls responsables des 3’200 licenciements. C’est la loi de notre société mais aussi froidement appliquée, seul le jet de pavé peut libérer quelques rancœurs. Le pouvoir l’a compris et dès la fin annoncée, il a réprimé — gazage des manifestants dans les aéroports — ou menacé par la présence massive des CRS et gardes mobiles lors des manifestations des salariés d’Air Lib.

Maintenant, il annonce qu’il embauchera dans les compagnies et sociétés nationales : Air France, SNCF, RATP, ADP… Si on l’écoute, la faillite d’Air lib va créer des emplois ! Seuls les naïfs pourraient le croire. D’autant que le secteur économique est sinistré. Air Canada annonce des milliers de licenciements, Lufthansa est sur le même point. Toutes les compagnies aériennes tendent le dos en attendant la guerre. Pendant la première guerre du Golfe, l’activité du transport aérien avait été réduite de moitié.

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