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Retraites (2)

Le Gouvernement Raffarin face au « non » des salariés EDF-GDF et à l’unité syndicale

Le jeudi 23 janvier 2003.

Malgré l’offensive du Medef qui, par la bouche d’Ernest-Antoine Seillière, a réaffirmé « la nécessité de l’allongement de la durée de cotisation » pour garantir le niveau des retraites, puis que le régime des retraites publiques soit aligné sur le régime général, et enfin que soit mis en place « un système en plus de capitalisation personnelle » pour que chacun ait la « liberté » de choisir le niveau de sa retraite. Le « non » des salariés de la branche énergie au projet de réforme de leur régime spécifique de retraite représente un sérieux avertissement pour le patronat et le gouvernement Raffarin.

Les salariés rejettent la réforme de leur régime de retraite

Les salariés des industries électriques et gazières comprenant notamment EDF et GDF, ont clairement rejeté, jeudi 9 janvier, avec près de 53 % des suffrages, selon la CGT, près de 60 % selon FO, le relevé de conclusions sur une réforme de leur régime de retraite, un résultat qui sonne comme un avertissement avant le débat sur la réforme générale des retraites. Ce scrutin était en effet considéré comme un test majeur pour les projets gouvernementaux en matière de privatisation et de réforme générale des retraites. Le gouvernement par la voix de François Fillon, le ministre du Travail, avait souligné dès le 31 octobre que « les décisions qui seront prises s’agissant de la retraite EDF-GDF doivent être compatibles avec la réforme, voire même préparer au fond cette réforme des retraites ». Le vote à bulletin secret, organisé par la CFDT, la CGT, la CFTC et la CFE-CGC, s’est déroulé le jeudi 9 janvier dans les différentes entreprises concernées (EDF, GDF, CNR, SNET, régies municipales, etc.). Il concernait 150 000 salariés actifs et 99 100 inactifs, ainsi que 39 670 veufs et veuves, au titre d’ayants droit. Selon les résultats définitifs sur 219 577 inscrits et 140 092 votants (63,80 %), le non a totalisé 73 472 voix soit 53,42 %, et le oui 64 069 voix soit 46,57 %. Chez les actifs (99 807 votants), le non l’emporte plus largement encore avec 57,71 % et une participation de 75,7 %. Première conséquence de ce vote : le secrétaire général de la fédération CGT de l’Énergie, Denis Cohen, partisan déclaré du oui, a indiqué dès jeudi soir que son organisation, largement majoritaire à EDF-GDF, ne signerait pas le relevé de conclusions finalisé le 9 décembre, et déjà paraphé par la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC avant même la consultation des personnels. Les trois syndicats signataires (CFDT, CFE-CGC et CFTC) ont indiqué que le résultat de la consultation ne remettait pas en cause leur signature.

Alors que la CFTC évoquait le « manque de temps » pour expliquer aux électriciens et gaziers « les tenants et aboutissants » de la réforme, la CFE-CGC estimait que « la peur des privatisations d’EDF et GDF et de la réforme Fillon avaient joué dans la consultation des personnels ». Un point de vue partagé par la CFDT qui a déploré « l’amalgame fait entre ouverture du capital et retraites », estimant que « le vote ne reflète pas entièrement le contenu du relevé de conclusions ». Seule fédération à avoir dès le début rejeté les négociations et à avoir clairement appelé à voter non, FO Énergie s’est félicitée d’un résultat « encourageant pour continuer la lutte contre les volontés gouvernementales de remettre en cause les régimes particuliers et le régime général des retraites ». Selon elle, « le but recherché était d’anticiper la réforme souhaitée par le gouvernement vers le passage du calcul de la retraite de 37,5 ans à 40 ans et l’augmentation des cotisations de 7,85 % à 11,90 % ». Tandis que le président de l’Union française de l’électricité (UFE, patronat), Bernard Brun parlait de « déception incontestable », la direction d’EDF a souligné que « ce résultat ne périme pas la méthode de négociation et de concertation ». « L’accord existe, il est déjà signé par trois grandes organisations syndicales représentatives (CFDT, CFE-CGC et CFTC) », a-t-elle souligné.

Le syndicat Sud-Rail (SNCF) affirme que « les cheminots aussi défendront leur retraite » et appelle à un « grand mouvement d’ensemble interprofessionnel ». L’expression des agents d’EDF-GDF est claire : les salariés refusent la remise en cause de leur régime de retraite et la privatisation de l’entreprise de service public. Pour les entreprises, ce vote repousse aux beaux jours l’évolution à venir sur les statuts et l’ouverture du capital.

Les salariés de l’énergie ne veulent pas payer plus

Les opposants à la réforme des retraites de la branche Énergie ont voté pour conserver les avantages de leur régime particulier sans payer un centime de plus, et refusent que leur système soit susceptible d’évoluer à l’occasion des négociations entre les partenaires sociaux et le gouvernement sur le régime général. De plus, la réforme du régime des retraites des électriciens et des gaziers constitue le « verrou à faire sauter » pour ouvrir la voie à la privatisation d’EDF et de GDF voulue par le gouvernement, ce dont ne veulent pas entendre parler les salariés hostiles à la réforme.

Ce projet prévoit la création d’une caisse de retraite spécifique — ce qui n’existait pas, les différents opérateurs payant les retraites sur leur compte d’exploitation — et le maintien du pouvoir d’achat des retraités de la branche ainsi que de leurs avantages acquis. Les salariés de la branche Énergie bénéficient en effet d’un régime particulier et avantageux, qui leur permet de ne cotiser que 37,5 années pour bénéficier d’une retraite à taux plein — contre 40 années dans le privé — à l’instar de la Fonction publique, ou encore de partir à la retraite avant 60 ans en fonction de la pénibilité du travail effectué par le salarié.

En contrepartie du maintien de ces droits, et pour permettre de financer ce régime à l’avenir, notamment en faisant sortir le coût des retraites des comptes d’exploitation, le texte précise que des accords seront recherchés entre le régime des Industries électriques et gazières (IEG) et les régimes de solidarité interprofessionnelle (caisse des retraites AGIRC et ARRCO), et qu’ils s’accompagneront d’une « harmonisation » des cotisations. Les cotisations des salariés de la branche passeraient ainsi de 7,85 % à 12 %, soit le taux pratiqué pour le régime de solidarité interprofessionnelle. Par ailleurs, une clause du projet d’accord souligne que les prestations « évolueront dans le cadre de la négociation de branche à l’initiative des partenaires sociaux ou des pouvoirs publics au regard des évolutions des régimes de retraite ». Ce sont ces deux derniers points qui ont été à l’origine de tous les blocages.

Le « non » des salariés d’EDF et GDF sur les retraites marque un sérieux avertissement pour le gouvernement Raffarin, qui confirme son calendrier de réforme des retraites et au moment où il s’apprête à ouvrir le chantier majeur du financement des pensions de l’ensemble des Français. Embarrassé, le Premier ministre a tenté vendredi 10 janvier, à l’occasion de ses vœux à la presse, de faire bonne figure en assurant que ce revers n’entamait en rien sa détermination sur la réforme d’ensemble des retraites. L’affaire sonne comme un camouflet car cette consultation était considérée comme un test avant l’ouverture des négociations. Il comptait sur un accord à EDF pour faire avancer la réforme des autres régimes spéciaux et du régime général, et conjurer du même coup le spectre de décembre 1995. Le rejet inattendu compromet l’ensemble de cette stratégie. Pris de court même s’il a affirmé ne pas être « surpris », Jean-Pierre Raffarin s’est efforcé de dédramatiser. Pour lui, l’accord signé par les trois autres organisations a montré cependant « qu’il y avait des forces importantes qui voulaient bouger », soulignant que la démarche du gouvernement était globale : « On n’est pas dans une situation où on va régler le problème des retraites par appartements, on commence par définir une stratégie pour la France de long terme sur les retraites et après on déclinera cela. » Dans le but de dédramatiser la situation, Jean-Pierre Raffarin a réaffirmé sa forte détermination à engager dès ce printemps la réforme des retraites : « Le calendrier est fixé. Nous sommes, pour ce mois de janvier, dans une démarche politique, puis [ce sera] les partenaires sociaux, puis ensuite, au printemps, les parlementaires. »

Pour le reste, Jean-Pierre Raffarin a maintenu le calendrier de la réforme. Après la consultation des partis politiques lancée cette semaine par les ministres des Affaires sociales et de la Fonction publique François Fillon et Jean-Paul Delevoye, le gouvernement entamera la concertation avec les syndicats avant la présentation « au printemps » d’un projet de loi. Au-delà de ce calendrier, le Premier ministre est resté volontairement flou sur les principes qui guideront cette réforme, se bornant à « traiter avec équité » et de manière « ouverte » le dossier et à ne pas opposer le public et le privé.

Dans l’immédiat, le gouvernement entend appliquer l’accord signé dans les industries électriques et gazières, a-t-on souligné dans l’entourage du Premier ministre. Malgré son rejet par les salariés, ce protocole d’accord « présente de nombreux éléments positifs », a estimé M. Raffarin. Il sera mis en œuvre dès lors que les trois syndicats signataires, la CFDT, la CGC et la CFTC, maintiennent leur signature. Cette méthode du passage en force pourrait être reprise dans la réforme d’ensemble. En cas d’échec de la concertation, le gouvernement prendra ses responsabilités, avertit-on de source gouvernementale. Au risque de provoquer un mouvement social majeur.

Front uni des syndicats sur les retraites

Dans une rare démarche unitaire, sept organisations syndicales sont parvenues à une position commune sur le dossier des retraites pour tenter de peser sur les prochaines consultations avec le gouvernement. Les sept organisations (CGT, CFDT, Force ouvrière, CFTC, CFE-CGC, Unsa et FSU) représentent aussi bien le secteur privé que la Fonction publique. Elles ont convenu de la « journée nationale de manifestations décentralisées, régionales ou départementales » du 1er février 2003 avant leurs consultations avec le ministre des Affaires sociales François Fillon. Dans leur déclaration commune, élaborée sur la base de propositions de la CGT et de la CFDT, les organisations se donnent sept objectifs, notamment la défense du système par répartition, le droit à la retraite à taux plein à 60 ans et dès 40 ans de cotisations pour ceux ayant commencé à travailler très tôt, un haut niveau de retraite et des mesures spécifiques en faveur de certaines catégories pour prendre en compte, par exemple, les travaux pénibles ou insalubres.

Ce front uni syndical, au-delà des divergences sur le financement ou l’harmonisation des régimes de retraite, témoigne de la crainte des organisations de voir le débat sur les retraites leur échapper au profit de la classe politique. Dans leur déclaration commune, les sept organisations syndicales restent discrètes sur les régimes de retraite du public comme elles se gardent d’évoquer la durée des cotisations. « On veut un tronc commun, c’est-à-dire une harmonisation des retraites entre le privé et le public, notamment pour gommer certaines inégalités », a expliqué Mijo Isabey, responsable du secteur retraites de la CGT, et Jean-Christophe Le Duigou, membre du bureau confédéral de la CGT, spécialiste des retraites, a reconnu qu’une réforme était « inéluctable » mais a précisé qu’elle devait « garantir l’avenir des retraites ». « Nous sommes d’accord pour la retraite à 60 ans, le système par répartition. Le débat va très rapidement porter sur le niveau des retraites », a-t-il estimé. Dans un communiqué, la CFDT s’est félicitée « que toutes les organisations syndicales, y compris celles qui refusaient hier encore l’idée même d’une réforme, rejoignent cette dynamique pour affirmer ensemble la nécessité d’une réforme et en définir les principaux objectifs ». La CFDT « mobilisera toutes ses forces pour que cette première expression forte et unitaire pousse à la réforme ». Il faut se demander si ces propos sur la réforme à tout prix ne fait pas le jeu du gouvernement. Dans leur déclaration commune, les sept organisations syndicales restent discrètes sur les régimes de retraite du public comme elles se gardent d’évoquer la durée des cotisations.

La CGT prend l’initiative dans les rangs syndicaux

« Il était important que l’on reprenne la main », a commenté Jean-Louis Derousse(CFTC) après l’approbation du texte d’orientation par la CGT, la CFDT, FO, la CFTC, la CFE-CGC, l’Unsa et la FSU. La CGT est à l’initiative de ce retour en force des syndicats et avait été la première à souhaiter organiser une manifestation. C’est aussi la CGT qui, conjointement avec la CFDT, a élaboré le texte initial autour duquel les syndicats se sont réunis lundi, pour la première fois depuis les élections prud’homales du 11 décembre. « C’est un événement pour le mouvement syndical. On est dans une démarche de proposition et d’anticipation par rapport à la négociation », a estimé Jean-Christophe Le Duigou (CGT). La déclaration commune affirme l’objectif d’un haut niveau de retraites, de la retraite à taux plein à 60 ans pour tous et dès 40 ans de cotisations pour ceux ayant commencé à travailler très tôt, et pose le principe de mesures spécifiques en faveur de plusieurs catégories. Le texte propose aussi de réformer le système de compensation entre régimes, veut assurer l’abondement du Fonds de réserve des retraites (FRR) et insiste sur la priorité à donner aux politiques de l’emploi pour financer les retraites. La déclaration commune « a le mérite de rappeler le principe intangible du droit à la retraite à taux plein à 60 ans, l’attachement à la répartition et la nécessité d’aborder le dossier des retraites en tenant compte de la question essentielle de la répartition des richesse produites », a précisé FO dans un communiqué, en considérant que d’autres actions seront nécessaires.

L’unité syndicale résistera-t-elle aux consultations ?

« La déclaration commune est un moyen important pour obliger à ce qu’il y ait une vraie négociation », a commenté Gérard Aschieri (FSU). « On ne retrouve pas les revendications de chacune des organisations, mais sur l’ensemble il y a une vision globale qui nous permettra de faire contrepoids avec la démarche du gouvernement, qui est très inquiétante », a jugé le secrétaire général de FO, Marc Blondel. Plusieurs points réclamés par certains syndicats n’ont pas été intégrés au texte, qui est « un noyau dur sur lequel il faudra travailler », selon Solange Morgenstern (CFE-CGC). Pour parvenir à l’unité syndicale, la déclaration s’en tient à des principes de base et n’aborde pas les modalités de la convergence public-privé ou la question des départs anticipés. Cette unité syndicale renouée de façon spectaculaire devra toutefois trouver confirmation lorsque les « concertations » entreront dans le vif du sujet. La tâche devrait alors s’avérer plus délicate.

Michel Sahuc