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Pierre Autin-Grenier

Le Refus de parvenir

juillet 2003.

Interviewé par l’équipe « La Philanthropie de l’ouvrier charpentier » de Radio libertaire, le romancier nous fait partager sa révolte tranquille. « Par l’écriture, j’essaie de traduire ce que je n’accepte pas, de transcrire un certain refus et mes espérances aussi bien sûr. »



Radio libertaire : Tu es né à Lyon dans le 6e et…

Pierre Autin-Grenier : … comme j’étais déjà de trop alors on m’a mis de suite en nourrice, puis à la traîne chez les uns et les autres, enfin dans divers pensionnats. À 16 ans j’ai pris ma liberté, à 23 je me suis installé à Caromb près de Carpentras et me suis déclaré poète ; nous étions encore pour ainsi dire en Mai 68 ! Trois semaines après, la gendarmerie est venue me voir pour savoir « ce que je faisais ». J’ai alors mis sur ma porte « écrivain » et j’ai ainsi changé de statut social et acquis une respectabilité !

Radio libertaire : Dans tes livres tu es assez violent sur Carpentras dont tu dis : « Dans cette contrée en cul-de-sac où je vis, quand vient la pluie il vaut mieux… se flinguer ».

Pierre Autin-Grenier : La mentalité a beaucoup évolué depuis quelques années et pas forcément dans le sens d’une ouverture extraordinaire. Les gens, ici, restent entre natifs du canton. L’esprit Front national imprègne la ville mieux qu’une répugnance. Cela dit, je n’ai jamais eu de problèmes personnellement et j’ai même ici quelques amis ; on y achète mes livres… C’est comme partout, il existe cette révérence imbécile envers l’écrivain. Cela me met presque à l’écart. Jadis il y avait l’instituteur, le curé ; aujourd’hui l’écrivain qui n’est rien du tout, qui ne gagne rien, est toujours traité avec déférence, c’est assez curieux.

Radio libertaire : Il y a dans tes livres une « chanson des mots ». On sent bien que lorsque tu écris une phrase il n’y a pas seulement les mots avec leur sens direct, mais il y a aussi une organisation entre les mots.

Pierre Autin-Grenier : Toute personne qui écrit procède sans doute de la même façon. Il faut faire entendre une musique, quelque chose, un petit style, un phrasé un peu particulier. Ce qui fait qu’à la lecture et malgré le fond un lecteur trouvera ça épatant, un autre insupportable.

Radio libertaire : Tu pars d’un thème, tu l’écris, tu vas reprendre, modifier pour avoir du son.

Pierre Autin-Grenier : J’écris beaucoup avec le dictionnaire. Je cherche tel mot qui m’amène à des synonymes lesquels m’amènent à d’autres synonymes, jusqu’à ce que je trouve la note que je veux. C’est presque une technique, un petit turbin. Il y aussi un plaisir qui doit, si possible, se sentir à la lecture. C’est un travail bête, en somme, avec le dictionnaire mais aussi un travail d’émotion, d’enthousiasme. Cela nécessite une atmosphère bien personnelle, voilà pourquoi il m’est très difficile de faire un texte sur commande.

Radio libertaire : Tes étincelles arrivent de partout, il y a une variété très, très large mais une très grande unité.

Pierre Autin-Grenier : Moi, j’ai l’impression que j’écris toujours la même chose ! Mais je suis très content quand on me dit que c’est différent d’un livre à l’autre. Ce que je raconte, c’est d’où je viens, ce qui m’a fait, ce à quoi j’aspire, avec une toile de fond fondée sur le quotidien et une certaine révolte.

Radio libertaire : Après ces commentaires sur ton écriture, j’aimerais revenir à une approche plus idéologique, plus philosophique de tes textes. J’y ai lu ce qu’on appelle dans le milieu libertaire « le refus de parvenir ». Est-ce que cela faisait vraiment partie de ta réflexion ?

Pierre Autin-Grenier : Ce n’est pas une prise de position délibérée, c’est un ressenti comme ça, un vécu. J’ai vu tellement de gens « parvenus » ! Je reste étranger à tout sentiment d’ambition. Ce n’est pas un renoncement à tout, ce n’est pas non plus une modestie effrénée. Je trouve que l’ambition c’est déjà le pouvoir. Je ne me suis refusé à rien d’emblée, c’est un peu ma nature, aussi mon expérience de vie ; ensuite, avançant en âge, ma réflexion a rejoint ce qu’on m’avait fait, ce que j’étais déjà en fait. Ce qu’on appelle « la réussite » me laisse dans une indifférence abyssale. On peut très bien réussir soi-même vis-à-vis de soi-même.

Radio libertaire : Certains critiques considèrent tes textes comme étant « noirs », « négatifs » portant au renoncement.

Pierre Autin-Grenier : Non, surtout pas au renoncement ! Ce n’est pas ça. Qu’il y ait quelque pessimisme, c’est évident. Mais j’ai toujours entendu un pessimisme « combatif ». Je reste assez révolté pour ne pas me vautrer dans le renoncement. Des tas de choses me révulsent dans nos sociétés bourgeoises et capitalistes, mais, si je n’ai pas grandes possibilités pour faire avancer la situation, ce n’est pas pour cela que je les accepte ni que je m’y résigne. Dans certains cas, transgresser les lois est un devoir.

Radio libertaire : Dans tes deux premiers livres, la filiation libertaire était en filigrane. Dans le dernier, tu t’es laissé aller ? Tu commences d’abord par une nouvelle sans équivoque Un Petit bout de chemin en compagnie d’Ascaso et de Durruti et on retrouve assez régulièrement le terme « drapeau noir », le terme « anarchisme ».

Qu’est-ce qui t’a poussé aujourd’hui à marquer par des mots quelque chose qui était déjà dans le contenu des livres précédents ?

Pierre Autin-Grenier : Dans Je ne suis pas un héros et dans Toute une vie bien ratée, l’esprit libertaire est moins apparent, c’est vrai, que dans L’Éternité est inutile où j’ai d’ailleurs placé le texte sur Ascaso et Durruti en ouverture volontairement. Je ne suis pas un héros n’a trouvé que 639 lecteurs à sa parution. Toute une vie bien ratée a eu un succès d’estime avec 10 000 exemplaires, une édition en folio et de nombreux articles de presse. La plupart de ces articles laissaient entendre que je fainéantais toute la journée sous un baldaquin, clope au bec et verre en main. Mon livre se résumait à ça. Épicurien qui se la coule douce, fume comme un pompier et vide verre sur verre. J’ai trouvé qu’il y avait là un relatif malentendu et j’ai ainsi voulu rectifier un peu le tir !

Écrivant L’Éternité est inutile, je me suis très vite aperçu, au bout de deux ou trois textes, que j’avais une réaction comme inconsciente aux critiques et à la présentation qui avait été faite de Toute une vie bien ratée ; je me suis alors laissé aller, appuyant parfois davantage sur le côté rebelle du narrateur. J’ai souhaité montrer ainsi l’aspect plus à vif des choses où il n’y a pas que l’andouillette et le vin blanc mais aussi une autre vision de la vie et un sens de la rébellion. Mes histoires ne peuvent quand même pas se résumer à un doux farniente et à un alcoolisme chronique !

Radio libertaire : Pourtant quand tu fais l’éloge de la paresse, c’est fondamentalement politique, non ?

Pierre Autin-Grenier : Oui, si l’on veut. On peut d’ailleurs lire aussi Le Droit à la paresse de Paul Lafargue, le gendre ! Ou, mieux encore, En vue d’un éloge à la paresse de Georges Perros aux éditions Le Passeur.

Radio libertaire : Quel rapport entre la réalité de ce que tu vis et ce que tu écris ?

Pierre Autin-Grenier : L’écriture, toujours, m’a apporté un certain équilibre. Elle m’aide à vivre, à régler certains problèmes. Quand j’écris, ça va mieux.

Je n’ai pas de temps vide. Je suis toujours frappé par les gens qui s’ennuient. Je suis étranger à l’ennui. Je peux rester des heures sur une chaise, à une terrasse de café, sans rien faire en apparence, mais je ne m’ennuierai jamais. Il n’y a pas de trou, de vide à combler. Je suis un homme qui vit l’instant, le moment ; qu’il soit positif ou négatif. Je me projette très peu.

Radio libertaire : Certains de tes textes te permettent de partir ?

Pierre Autin-Grenier : Non, non ! ce n’est pas une fuite, une évasion. Par l’écriture, j’essaie de traduire ce que je n’accepte pas, de transcrire un certain refus et mes espérances aussi bien sûr. Par l’écriture, je dis : ça ne me va pas, ça m’empêche de vivre ; voilà ce à quoi je rêve.

Radio libertaire : Et ton rapport à l’édition ?

Pierre Autin-Grenier : Jusqu’à la trentaine je partageais en photocopiant mes textes pour une vingtaine de copains environ. Je n’ai jamais tellement pensé à la publication à tout prix, ça s’est fait presque par hasard et ça continue à se faire, voilà tout. Quand même, je me suis surpris ces temps-ci, me basant sur le livre précédent, qui a connu un relatif succès, et constatant que L’Éternité est inutile n’a pas rencontré le même accueil, à me dire : où on en est, y’en a pas mille de plus ?

Heureusement, je me suis vite ressaisi ; quelle importance ? me suis-je dit ? Ne vaut-il pas mieux avoir 5 000 lecteurs plutôt que 10 000 acheteurs ? Je ne cherche pas un succès public, médiatique. Il y a quelques années, je me disais : ce serait extraordinaire si j’avais 1 500 vrais lecteurs ; alors, aujourd’hui, les quelques amis connus et inconnus qui me lisent suffisent à mon bonheur. Et puis, si on passe un cap, ça entraîne des contraintes. S’il fallait aller faire la promotion ici ou là, j’avoue que j’irais peut-être une ou deux fois pour voir comment ça marche, mais je crois que ça me briserait très vite le moral et l’existence avec ! Ne publiant finalement qu’un livre tous les quatre ou cinq ans, je crois que je suis bien à l’abri de tout cela, non ?


Quelques écrits de Pierre Autin-Grenier

  • Je ne suis pas un héros, récits, L’Arpenteur, 1993, 125 pages, 10,67 euros ;
  • Toute une vie bien ratée, récits, L’Arpenteur, 1997, 170 pages, 12,50 euros ;
  • Toute une vie bien ratée, récits, Folio 3195, 2001, 124 pages, 3 euros ;
  • L’Éternité est inutile, récits, L’Arpenteur, 2002, 170 pages, 12,50 euros.

Disponibles à Publico.