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La Galette et la couronne

Le jeudi 5 février 2004.

« Ce jugement dépasse de très loin les réquisitions du parquet, dont le représentant à l’audience, René Grouman, a été promu et décoré de l’ordre du Mérite depuis le procès. » Il s’agit du procès Juppé, et ce n’est pas moi qui le dis, c’est Lle Parisien, dans son édition du 31 janvier. Et toute la presse de souligner à l’envi la sévérité de la sentence. Et chacun de citer : « Attendu […] qu’agissant ainsi, il a trompé la confiance du peuple souverain. » Et tous de se réjouir, plus ou moins discrètement, de ce que justice ait été faite — même si le Boss est toujours en cavale.

Moi, quand je vois autant de gens « bien » se congratuler, je trouve toujours ça suspect. Alors, sans bouder ma joie tout de même, j’ai un peu mieux lu les articles. Ça m’a pris du temps, mais j’ai trouvé le loup : « La nature des faits commis est insupportable au corps social comme contraire à la volonté générale exprimée par la loi. » Cette fois, ce n’est plus Le Parisien, mais les magistrats. Et c’est moi qui souligne.

Les juges sont là pour dire le droit. Que ce droit soit juste ou pas, moral ou pas, ce qui compte c’est qu’il soit respecté. Le jugement est sévère contre Juppé-prévaricateur. Il tresse des couronnes à Juppé-législateur. Parce que la loi, c’est précisément lui et ses petits copains députés de tous bords qui la font.

Le pillage méthodique du bien public, dont tous se sont rendus coupables, ils l’ont reconnu et absous en se votant une loi d’amnistie. N’était-ce pas, du vol jusqu’au pardon, leur initiative particulière, et leur intérêt particulier ? La loi qui oblige chacun de nous à contribuer à leur bien-être de parasites, par le financement des partis politiques, est-elle le fruit d’un élan de passion populaire ? Le texte obscur de procédure qui fera casser le verdict, ce sera aussi la volonté générale, faut croire.

Bref, ce qui fait tant plaisir à tout ce beau monde, ce n’est pas que la turpitude de politicards soit sanctionnée, mais bien que les règles de la République soient affirmées. Que le bras vengeur de la Justice s’abatte sur celui qui a fauté. Tout ce cinéma fait autour d’authentiques crapules encense et sanctifie le système qui les a fait naître, et qui en générera d’autres. Les abstentionnistes, eux, n’ont pas élu Chirac, et j’en suis assez fier.

Moïse Cailloux