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Contre la logique de l’éolien spéculatif

Le jeudi 29 avril 2004.

La rationalité d’un choix technique n’est pas l’unique critère de son appréciation. pour les libertaires, les conditions de mise en place, la capacité de décision des concernés sont des points importants. Suite donc, du débat ; pour ne pas brasser du vent inutilement !



Par un système d’agglutinations aussi habile que convenu, le mystérieux Stéf@ laisse entendre dans sa réponse à mon article sur « Le prix et le bruit du vent » que mes condiments vont à la cuisine pronucléaire.

Autant le dire sans détours, non, non et non, je ne suis et ne serai jamais favorable au nucléaire. Pour autant, dois-je m’accommoder des pratiques actuelles concernant le développement de l’éolien spéculatif ? Y aurait-il un bon et un mauvais capitalisme ? Issu des profits générés par l’éolien industriel, le capitalisme serait-il brusquement orné de vertus ? Comment pourrais-je laisser filer ma pensée dans cette direction-là ?

Le principe qui anime l’article de Stéf@ consiste en un balancier dialectique qui oppose le nucléaire à l’éolien. Tout ce qui ne milite pas pour l’éolien terrestre est suspect d’appartenir au lobby du nucléaire. Facile et désarmant.

Facile, car cela suppose que l’on doive raisonner comme au temps du biface, en deux dimensions, sur un tempo binaire. Désarmant, parce que cela implique que l’éolien industriel est l’unique alternative aux énergies fossiles.

Je rappelle que mon article n’est pas un condensé d’informations recueillies au fil de lectures diverses mais un compte rendu de choses vues. Il semble, au contraire, que le point de vue de Stéf@ emprunte pour beaucoup aux enseignements de l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et s’apparente à une sorte de théorie portative sur la question. Je ne sens pas la part d’humanité vécue dans les lignes de l’auteur. Plutôt une sorte d’exaltation première et angélique, un plaidoyer ressemblant à un écran publicitaire.

La réalité est hélas plus complexe. Il m’est reproché de beaucoup parler de Plougras où sont implantés huit aérogénérateurs depuis l’été 2003. Je n’oserais évoquer l’inconnu. Il se trouve que j’ai rencontré, à plusieurs reprises, les riverains de la centrale éolienne. Je les ai écoutés placidement et sans préjugés.

Résolument libertaire — tel qu’en témoigne mon parcours d’écrivain —, admirant Armand Robin, Georges Navel, Henri Calet, j’ai pour règle d’écouter l’homme. Il me serait odieux de défendre une cause — comprenez ici l’éolien industriel — si je devais mettre à part le sort d’un seul humain. Or, je l’ai dit, ceux que j’ai rencontrés, partisans au début, m’ont confié leur souffrance. Également, leur colère. Et Stéf@ a beau écrire, en conclusion de son plaidoyer, qu’« une erreur d’implantations d’éoliennes, toujours possible, peut se résoudre techniquement, quitte à les démonter », les riverains de Plougras ne croient pas que l’on démantèlera les aérogénérateurs qui intoxiquent leur vie.

Alors, et cela aussi je l’ai écrit, faut-il que des populations, au motif qu’elles sont disséminées, servent de victimes expiatoires au nom du surpuissant Éolien ? Car Stéf@ ne dit rien dans son article à propos de l’absence de réglementation concernant la distance séparant un aérogénérateur d’une habitation. Savez-vous qu’aujourd’hui tout est possible ? Ignorez-vous qu’une éolienne de 140 mètres peut-être dressée à moins de 400 mètres de votre demeure ? Stéf@ met en avant la crainte de ne pouvoir revendre à bon prix une habitation achetée. S’ils envisagent de vendre, c’est donc que les vendeurs craignent. Quoi, précisément ? Mais de vivre à l’ombre d’une machine ou d’en subir le bruit.

Une erreur comme celle de Plougras — site non démantelé — ne se produira plus. Est-ce à dire que l’histoire jamais ne bégaie ? Peut-on affirmer aujourd’hui qu’il n’y aura plus de guerre après celle menée contre l’Irak, plus de génocide comme au Rwanda, plus de marées noires ? Ce serait naïvement faire campagne pour un avenir radieux où l’argent et les avantages du pouvoir ne feraient plus pression.

Si l’éolien industriel était paré de toutes les vertus, alors les populations concernées seraient immédiatement avisées des études d’impact. Comment expliquer alors qu’il faille solliciter tous azimuts des explications sur un projet éolien en cours après que celui-ci eut été mis en route ? Si l’éolien industriel se souciait des populations humaines concernées — plus encore que des oiseaux —, il se ferait courtois, pédagogique, chaleureusement persuasif. Au contraire de cela, les riverains du site de Plougras comme ceux du site potentiel de Plouigneau constatent une certaine animosité à l’égard de leurs préoccupations ressenties. On dirait qu’elles sont un tantinet gênantes.

Croyez-vous que ces habitants, en somme rétifs, soient des ploucs, d’insignifiants sauvages perdus au milieu de nulle part et que le reste du monde indiffère ? Vous pourriez, en effet, penser que l’hostilité qui les anime relève de leur isolement. Ils sont isolés, cela est vrai. Et c’est parce qu’ils sont isolés, bien peu en nombre, qu’on estime leurs vies secondaires. C’est contre le nucléaire qu’ils ont fait le choix de l’éolien. Ils ont visité un site sans rapport avec celui qui leur fut imposé. On leur a menti au nom de l’argent. L’argent ment toujours. Le Kapital ne recule devant rien, y compris l’écologie, du moment que l’écologie est un bon placement. Les riverains de Plougras paient pour sauver le monde du nucléaire. Car c’est exactement ce qu’on leur a fait croire. Stéf@, si fervent lui-même, ne va pas jusqu’à cette extrême. Il estime, lucide, que l’éolien n’est pas « l’alternative magique au nucléaire ». Il nous est tout à coup sympathique.

On voudrait qu’il se lâche un peu, qu’il extériorise son savoir sur les énergies renouvelables. Qu’il confie, enfin, que l’éolien terrestre est un possible parmi d’autres. Comme, par exemple, le géothermique, le solaire, le biomasse. Autant d’alternatives écogestionnaires.

Anarchiste je suis et partisan d’une écologie qui ne profite pas au Kapital. Puisqu’il faut remédier aux ravages de l’économie industrielle, au désastre polluant, à la dévastation du monde par les lois de l’argent, je préconise forcément le réflexe écogestionnaire. Pourquoi donner à la grande industrie l’opportunité de se fabriquer une virginité écologique alors que chacun d’entre nous peut, en circuit fermé, se chauffer au solaire ou au géothermique ?

Et pourquoi ne pas choisir le petit éolien — à ne pas confondre avec l’éolien industriel — qui permet de produire une énergie à faible coût en installant, chez soi, un aérogénérateur de moins de douze mètres.

Je souhaiterais que le débat qui s’anime autour de la problématique éolienne prenne en compte la réalité de l’humain sans mépris — et non cette vision de l’humain calculée à l’aune de « la perte de la valeur des propriétés ». Je souhaiterais, par ailleurs, que soit examinée la véracité des propositions de l’Ademe concernant le bruit de l’éolien et, en particulier, sa conception de l’émergence sonore.

Ce que ne dit pas Stéf@ dans sa déposition, c’est que l’Ademe avertit, dans ses rapports, des nuisances sonores et perturbations diverses, comme :

 Les perturbations des transmissions radioélectriques.

 Les effets stroboscopiques (leurs nuisances, d’une manière générale encore mal connues, sont liées aux ombres portées, susceptibles d’incidences sur le comportement, voire la santé des hommes ou des animaux).

 Les nuisances liées aux infrasons (a priori, les animaux sont plutôt sensibles, selon la littérature scientifique, aux effets des ultrasons).

 Les nuisances sonores (les éoliennes sont des équipements qui peuvent fonctionner 24 heures sur 24 et qui sont installés pour une durée qui peut aller jusqu’à une vingtaine d’années). 1

Ce qu’il est important de connaître, c’est la mise en place anomique des études d’impact (sonore, visuel) à l’insu des populations. Dans l’exemple que je décris, l’étude d’impact sonore est conduite sans consultation des populations d’un hameau visé par une implantation potentielle. Nul ne sait. On découvre, par hasard, un sonomètre destiné à quantifier le niveau sonore perçu à une distance donnée. Comme par hasard, le sonomètre est posé un jour de vent d’ouest. Or, une départementale située à l’ouest du micro fait entendre ce jour-là, plus distinctement qu’à l’habitude, le flux des engins automobiles. Ce qui signifie que la mesure de pression sonore ne tient pas compte de la valeur ambiante. Le vent ne souffle pas chaque jour à l’ouest. C’est cependant selon cette donnée que l’on va autoriser un dépassement de 3 dB(A) au-delà du niveau sonore perceptible. Comprenez que le niveau sonore de l’éolienne implantée tiendra compte de cette valeur par grand vent. Dire que les aérogénérateurs sont silencieux revient dès lors à affirmer que la Terre est au centre de l’univers.

Ultime scandale concernant l’obligation de l’étude sonore et visuelle : c’est l’opérateur lui-même qui est en charge de cette étude. C’est l’étude qu’il fera conduire qui servira d’aune. Entendez qu’il a tout intérêt à s’entourer de bureaux conciliants afin que son dossier puisse facilement obtenir permis de construire. C’est comme si George W. Bush avait raison devant le monde entier lorsqu’il affirme que l’Irak possède des armes de destruction massive. Pourquoi devrait-on croire un opérateur moins soucieux d’environnementalisme que de rentabilité ? Les opérateurs d’éolien industriel seraient-ils des philanthropes ?

Le porteur d’un projet éolien bat la campagne afin de contacter des propriétaires terriens susceptibles de louer des emplacements afin d’y ériger l’éminent aérogénérateur. Je l’ai dit, ces emplacements sont négociés. Il s’agit pour l’opérateur d’indemniser propriétaires et locataires du terrain choisi sans tenir compte de l’espace circonvoisin. J’ai pu noter, notamment à Plouigneau, que des propriétaires ne résidant pas sur place pouvaient louer leurs terres alors que des riverains y demeuraient autour. Ces derniers qui subiront l’impact sonore et visuel ne seront, pour leur part, jamais indemnisés.

On prétendra que l’éolien industriel est une fatalité — sachant qu’il représente une énergie intermittente qui ne mettra pas fin au nucléaire — en ce qu’il résulte d’une directive européenne obligeant au développement de l’énergie renouvelable. De toutes les énergies alternatives, il faut savoir que l’éolien est de celle qui bénéficie de la meilleure attraction financière : plus de 20 % de rendement après impôt. On comprend pourquoi les ténors de l’économie marchande se précipitent vers une telle manne. On comprend moins que d’avisés libertaires — ou sont-ils aveuglés ? — acceptent de se compromettre avec les lois du Kapital qui n’hésitent pas à mépriser des populations dispersées, comme si leur faible nombre les rendait inexistantes, à la seule fin de propager les vertus d’une énergie tout à fait alternative en soi mais dont l’utilisation mercantile ne laisse pas que rêveur.

Guy Darol


1. Source : charte départementale des éoliennes du Finistère, www.finistere.pref.gouv.fr.