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Contre le fascisme

les luttes sociales
Le jeudi 2 avril 1998.

Les accords conclus entre des élus de droite et le Front national nous concernent. Même s’ils résultent de petites combinaisons politiciennes, ils changent durablement la donne politique en participant à banaliser le FN. Même si Millon, Blanc et Baur se voyaient finalement contraints de démissionner, cet épisode laissera incontestablement des traces.

Tous les beaux discours sur les valeurs dont nous abreuvait la droite ont montré leur extrême fragilité. Pour en arriver là, deux défaites électorales successives ont suffit. Au passage, soulignons que cet épisode a eu au moins le mérite de montrer au grand jour qu’obtenir une parcelle de pouvoir est le seul enjeu qui compte véritablement pour tous ces élus.

La droite ne parvient pas à digérer sa traversée du désert, l’idée que celle-ci pourrait être longue lui est insoutenable. Aggravant encore ce désarroi, l’affaiblissement politique de la droite n’est pas que conjoncturel, il apparaît comme structurel. Une récente enquête de la SOFRES souligne que la droite voit rétrécir son assise sociologique traditionnelle. Entre 1986 et 1998, le vote pour la droite s’est littéralement effondré chez les cadres supérieurs, passant de 56 % à 35 %, au profit du Parti socialiste. Ceci tend à démontrer que la social-démocratie, ralliée au libéralisme, devient « l’idéologie » dominante tandis que le P.S. s’affirme progressivement comme le parti de l’establishment.

Dans ce contexte, l’idée de refonder la droite en y intégrant le Front national fait son chemin. Sur ce point, l’opposition, au sein de la droite, entre états-majors et barons locaux ne doit pas faire illusion. Fondamentalement, les dirigeants nationaux reprochent aux élus qui ont cédé d’être trop pressés. Tout est question de rapport de forces, la droite est aujourd’hui trop décomposée pour tenter sereinement un rapprochement avec le Front national. Pour préparer cet aggiornamento, les états-majors veulent conserver la maîtrise du calendrier.

À moyen terme, on peut prévoir une évolution « à l’italienne ». Après une opération de relookage et de ravalement idéologique, le Mouvement social italien, devenu Alliance nationale, s’est parfaitement intégré à la droite classique. Mais le parallèle a ses limites. Reproduire ce processus en France présentera plus de difficultés, essentiellement parce que le FN est porteur d’un discours et d’un positionnement qui fait incontestablement de lui le plus « décomplexé » des grands partis d’extrême droite en Europe.

Dans cette problématique, le discours des médias qui montent en épingle les divergences supposées entre Le Pen et Mégret, purement tactiques et tenant essentiellement au profil personnel des deux dirigeants, peut se révéler ambivalent. Aujourd’hui, les médias souhaitent ainsi favoriser le déclenchement d’une guerre des chefs. Mais demain, cette diabolisation à outrance de Le Pen par rapport à un Mégret, présenté comme presque fréquentable, peut favoriser l’aggiornamento des droites, si Le Pen venait à disparaître de la vie politique.

Dans toutes les démocraties parlementaires, le système politique est bipolaire. Face à la gauche, entre la droite et l’extrême droite, le problème se résume finalement à savoir qui bouffera qui. La droite est prête à utiliser le FN comme force d’appoint. De son côté, le Front national compte bien assécher le « marigot de la droite ». Dans la région PACA au moins, le FN semble bien parti pour parvenir à ses fins.

Chantage à l’antifascisme

À court terme, les conséquences politiques des récents accords droite-FN ne doivent pas être sous-estimées. Logiquement, l’ensemble de la classe politique va opérer un nouveau glissement vers la droite. Au RPR et sur les ruines de l’UDF, les avocats d’une droite de « combat » renouant avec ses « vraies valeurs » ne manquent pas. Dans les prochains mois, ils devraient faire entendre leur voix haut et fort, prétendant ainsi limiter l’espace politique du FN même si les faits démontrent que l’électeur frontiste préfère l’original plutôt que sa copie.

Parallèlement, qui plus est au pouvoir, la gauche plurielle ne manquera pas de tirer argument de ce nouveau contexte politique pour justifier la « plus grande fermeté » face à la contestation sociale : toute remise en cause de l’action gouvernementale étant présentée comme faisant le jeu du FN.

Le gouvernement refusant de régulariser la majorité d’entre eux, des sans-papiers multiplient les occupations pour relancer leur mouvement. Chevènement, notre très républicain ministre de l’Intérieur, s’est exprimé clairement sur la question, affirmant que les occupations d’églises seraient du « pain béni pour le Front national ». Son collègue de l’éducation nationale n’a pas attendu lui non plus pour s’illustrer. Interrogé au sujet des enseignants de Seine-Saint-Denis, engagés dans un mouvement de grève illimitée ponctué par d’importantes manifestations, Allègre n’a rien trouvé de mieux que d’évoquer « des attitudes irresponsables qui nourrissent le FN ». Ce chantage à l’antifascisme semble promis à un bel avenir…

Les nombreuses et importantes manifestations de la semaine dernière marquent clairement une évolution vers un antifascisme de plus en plus électoraliste et marqué « gauche plurielle ». La détermination des manifestants n’est pas ici en cause, démontrant l’ampleur de l’opposition au FN et à son idéologie. C’est le contexte politique lui-même qui accentue cette dérive : plus le Front national apparaît, à tort ou à raison, comme se rapprochant du pouvoir, plus la gauche plurielle pourra, faute de mieux, se présenter comme le « dernier rempart ».

Se résigner à ce « moindre mal », c’est accepter une logique de soumission qui nous conduit depuis des années à subir l’accroissement des inégalités et le développement de la misère et du racisme. Seule l’émergence d’un puissant mouvement social porteur d’un projet de société alternatif au capitalisme peut enrayer cette logique de décomposition sociale et nous faire espérer un autre futur. Nous n’avons pas besoin de chefs pour nous organiser, ni de patrons pour vivre.

Patrick
groupe Durruti (Lyon)