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Hommage

Agustin Gomez-Arcos

Mort d’un oiseau brûlé vif
Le jeudi 2 avril 1998.

Tu me fous ce canari au rez-de-chaussée, je ne veux plus le voir, plus l’entendre à l’étage noble, ici c’est réservé au triomphe, à la splendeur, à la victoire. Ce nom de foire à bestiaux, ce nom de Liberté, dès demain on l’efface ! Compris ? […] Et dimanche jour du Seigneur nous lui boucherons les ouïes, lui crèverons les yeux, lui trancherons la gorge, le conduirons de force à la messe ! ça va être ta fête, canari du Diable, oiseau libertaire, en bas j’ai dit !

in Un Oiseau brûlé vif

Que dire de plus ? Que l’auteur de ces phrases vient de mourir, et qu’il s’appelait Agustin Gomez-Arcos. Né en 1939 en Andalousie, dans une Espagne que Franco n’a pas fini de faire saigner, neuvième enfant d’une famille républicaine où le pain n’est pas toujours quotidien, Gomez-Arcos poursuit néanmoins quelques études, avant d’arriver à Barcelone où il se prend de passion pour le théâtre. Il est d’abord comédien, metteur en scène, traduit des pièces, puis en écrit lui-même. Primé en 1960, ses pièces sont pourtant plusieurs fois interdites et censurées. Il quitte alors son pays, en 1966. Il gagne l’Angleterre, puis la France, fait mille petits métiers, apprend à parler le français, et à l’écrire. Et c’est dans cette langue qu’il va désormais offrir aux lecteurs les plus belles pages qu’on puisse lire sur l’insoumission et la révolte.

En 1975, sort son premier roman L’Agneau carnivore. La maîtrise de la langue est extraordinaire. Ceux qui ont lu ce livre savent combien il est difficile de s’en remettre ! Imaginons deux frères amoureux l’un de l’autre. Une famille fasciste. Une bonne (personnage récurrent chez Gomez-Arcos, la bonne est libertaire, ou « rouge », symbole de la résistance des victimes qui ne se soumettent jamais). Pendant que les curés attendent, les enfants s’initient avec délice aux plaisirs sodomites et incestueux, dans des pages lumineuses, inoubliables…

La religion, la morale, les bien-pensants, les fachos, les militaires et les bourgeois ; tout le monde en prend plein la figure. C’est décapant, cela fait du bien. Gomez-Arcos n’a pas tourné la page de la révolte ; il en ouvrira d’autres. Dans Maria Republica, par exemple, c’est une « pute rouge » envoyée au couvent pour expier ses fautes, qui semble se soumettre à la religion et au fascisme. Pourtant, son instinct de révolte est intact. Elle ne se soumet un temps que pour mieux faire éclater sa haine, plus tard, en foutant finalement le feu au couvent. Insoumission des faibles et des bafoués, toujours. La force des récits est assez hallucinante, et rappelle certains grands films de Buñuel. Les mots sont tourmentés, poussés par un cynisme noir, de l’humour cru, parfois totalement désespérés, mais le plus souvent étrangement toniques.

Gomez-Arcos ne faisait pas les gros titres des journaux littéraires. Son œuvre n’en fut pas moins reconnue et primée, même s’il préférait peaufiner ses ouvrages à l’abri de l’agitation médiatique. À Thierry Maricourt — qui l’interviewait pour son livre Histoire de la Littérature libertaire en France en 1988 —, il déclarera simplement : « Que je sois un libertaire, c’est l’évidence même ! En tant qu’Espagnol et en temps qu’écrivain… et l’on ne pourrait pas séparer l’un de l’autre ! »

Reste donc à se replonger dans les livres d’Agustin Gomez-Arcos. Même si cet Oiseau brûlé vif a quitté le devant de la scène le vendredi 20 mars, sa plume libertaire n’a pas fini de nous faire vibrer.

Parmi ses livres le plus connus, on peut citer : L’Agneau carnivore, Maria Republica, Ana non, Un Oiseau brûlé vif, L’Enfant pain, Scène de Chasse (furtive), L’Ange de chair, etc.

Cathy Ytak