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Agressions physiques, verbales, viols…

Les Femmes, premières victimes des violences

Le jeudi 8 février 2001.

Le 25 janvier dernier, se sont tenues à la Sorbonne, les Assises nationales contre les violences envers les femmes. Nicole Péry, secrétaire d’État aux droits des femmes et à la formation professionnelle, ouvrait la séance en insistant sur l’importance de faire connaître l’ampleur et la nature des violences envers les femmes. En effet, les violences envers les femmes ne sont ni des accidents ni des fatalités. Ni des accidents puisqu’elles s’enracinent dans les rapports sociaux de sexe et dans la domination séculaire qu’exercent les hommes sur les femmes. Ni des fatalités car des femmes osent dire non, luttent et s’entraident pour reconstruire leur dignité.

C’était aussi l’occasion de donner quelques résultats de l’enquête menée par Maryse Jaspard et Elizabeth Brown portant sur les violences envers les femmes en France. L’objectif de l’enquête nationale était de cerner l’ampleur et la fréquence de l’ensemble des violences envers les femmes, dans tous leurs cadres de vie, géographiques et sociaux, au cours des douze mois précédant l’étude, mais tout au long de la vie pour les victimes de violences physiques et sexuelles. L’enquête a concerné près de 7 000 femmes, âgées de 20 à 59 ans, interrogées par téléphone entre mars et juillet 2000.

Une femme sur dix est victime de violences conjugales

Au niveau de l’espace public, les agressions les plus fréquentes sont verbales ou bien ce sont des cas de femmes suivies dans la rue, à qui sont faites des avances ou qui subissent des agressions sexuelles. Les femmes sont d’autant plus touchéesqu’elles sont jeunes et citadines. Les agresseurs sont souvent des hommes inconnus. Notons qu’un auteur d’agression physique sur cinq est une femme.

Sur le lieu de travail, ce sont les pressions psychologiques qui sont les plus fréquentes. Le harcèlement moral commence souvent par un harcèlement sexuel. Un cinquième seulement des faits de harcèlement sexuel est commis par un supérieur hiérarchique. On observe une décroissance des violences en fonction de l’âge des femmes concernées mais cette décroissance est moins rapide qu’au niveau de l’espace public.

Au foyer, les violences sont liées à l’âge des femmes, les plus jeunes étant touchées deux fois plus que les autres. Les violences revêtent diverses formes : agressions et violences verbales, pressions psychologiques, agressions physiques, agressions sexuelles pouvant aller jusqu’au viol. Un femme sur dix a été concernée par une violence conjugale au cours de l’année.

La parole est libératrice

L’enquête permet de comptabiliser qu’environ 50 000 femmes de 20 à 59 ans auraient été victimes de viol en 1999. Les deux tiers des femmes qui ont parlé de violences sexuelles au cours de la vie l’ont fait pour la première fois lors de l’enquête. Le silence est encore de règle dans de nombreux cas alors qu’il est montré que la parole est libératrice de la culpabilité engendrée par la violence : un tabou qui a la vie dure.

Lors des Assises, d’autres paroles ont rappelé que les filles de moins de 20 ans et les femmes de plus de 60 ans n’ont pas été concernées par l’enquête nationale. Or ces deux catégories d’âge subissent aussi maintes violences, dont le viol. Parole encore plus taboue. Les violences sont souvent corrélées dans leurs fondements et leurs conséquences à des discriminations directes ou indirectes dans la formation ou la carrière professionnelle, ce qui dépasse largement les blessures physiques. Par ailleurs, les violences envers les femmes ne sont infligées que parce que la victime est justement une femme. À ce propos, rappelons que le mouvement féministe a su sortir la problématique de la violence, de l’espace privé vers une prise de conscience sociale. La violence n’est pas une problématique individuelle mais le reflet de structures sociales intériorisées. La culpabilité est un passage obligé, qui devrait être temporaire, la honte ne favorisant pas les échanges, et déboucher sur l’ébauche d’une tentative relationnelle pour reconstruire un corps parlant et se reconstruire comme sujet.
Mais au-delà des axes d’action possible à mettre en place et annoncés lors des Assises, ne doit-on pas recontextualiser les violences pour en comprendre les racines. Comment, quand on bourre le crâne de toutes les générations par des concepts comme l’« étranger », la « compétitivité », le « pouvoir », la « nature humaine », penser une seule seconde que garçon ou fille, homme ou femme, échapperont à s’engager dans le racisme, la guerre, la religion, les compétitions sportives, les start up, la hiérarchisation des individus et des idées ou même la mode.

Une violence capitaliste et patriarcale

Les fondements du capitalisme et du patriarcat se fécondent mutuellement, renforcés par les religions et les doctrines. Y a-t-il vraiment une grande différence entre « Ne pleures pas, t’es pas une fille » et vouloir être le « premier leader mondial » sur un plan économique, artistique ou idéologique ? Peut-on penser encore que les messages publicitaires qui s’insinuent dans nos têtes au gré des murs, des spots télévisuels ou des pages internautes, ne participent pas à banaliser les violences faites en grande partie envers les femmes ?

Les associations d’aide aux femmes réalisent un travail très important non seulement en terme de secours d’urgence mais aussi pour permettre aux femmes de libérer leur parole et pouvoir se remettre sur le chemin de la vie. Il convient de souligner aussi le travail entrepris par les quelques trop rares associations d’aide aux hommes pour les amener à se libérer de leurs « contraintes » viriles. Tout un travail d’éducation des femmes pour développer leur estime d’elles-mêmes, après les violences subies, et d’éducation des hommes pour reconnaître leur responsabilité et se reconstruire en respectant chacun et chacune, est indispensable, mais ne suffit pas.

Tant que la guerre, le commerce et le pouvoir seront de ce monde, le regard porté à autrui se nourrira de haine et non pas d’entraide pour l’épanouissement de toutes et de tous.

Hélène Hernandez. — groupe Pierre Bernard