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Italie

L’Anarchie est prioritaire, mais elle n’arrive pas par la poste

Le jeudi 22 janvier 2004.

Voici la motion approuvée au congrès national de la Fédération anarchiste italienne, tenu à Milan les 10 et 11 janvier 2004 à propos des répressions et des provocations anti-anarchistes.



Si le monde dans lequel nous vivons était acceptable, si l’information n’était pas une dangereuse arme de guerre, de celles destinées à la destruction massive, sans aucune considération pour une population civile désarmée, la nouvelle selon laquelle quelqu’un avait incendié quelques bennes et celle de l’expédition par la poste de quelques livres farcis de pétards auraient eu la place qu’elles méritaient dans la rubrique des faits divers.

L’écho médiatique suscité par les pétards envoyés à Romano Prodi, au président de la BCE, à Eurojust et à quelques députés européens, quelques jours après l’incendie de quelques bennes à Bologne, est devenu le prétexte pour élever au maximum le niveau d’« alerte terroriste », comme Berlusconi et Bush l’avaient planifié quelques semaines plus tôt. D’une rive à l’autre de l’Atlantique se répondaient les annonces d’attentats, accompagnées de la militarisation correspondante des vols et des territoires. Avec ces mesures, la guerre durable et préventive vise à atteindre un double objectif. D’une part, alimenter la peur suscitée par un ennemi extérieur toujours à l’affût, et d’autre part tenir en échec tous les sujets impliqués dans la chute d’un système de domination sociale, économique et politique qui entraîne nécessairement la criminalisation, l’expulsion et l’élimination violente de quiconque ne se reconnaît pas dans les règles du jeu. Dans une période de guerre totale contre le terrorisme, il faut de temps en temps faire monter la tension, sinon, on court le risque que la puanteur des cadavres des enfants morts en Afghanistan ou la nouvelle des prisonniers irakiens battus à mort deviennent finalement intolérables même pour les tolérants sujets de notre Nord capitaliste et va-t-en guerre.

D’autre part, depuis des mois dans notre pays, le ministre de l’Intérieur et les médias agitent l’épouvantail du terrorisme, pointant les anarchistes comme un péril majeur. Quelques voix policières indécentes se sont même jointes pour évoquer l’hypothèse d’une main anarchiste derrière le triste mode qui consiste à empoisonner des bouteilles d’eau minérale. Dans une époque où les gouvernants promeuvent une privatisation des ressources hydriques qui assoiffe des dizaines de millions de personnes sur la planète, une époque où les ordures produites par le capitalisme rendent l’eau imbuvable, on ne trouve rien de mieux que de couvrir de fange ceux qui s’opposent à ce gâchis.

Mais si les anarchistes ont été la cible préférée du gouvernement et de la presse, les attentions de ces messieurs ont eu une portée bien plus ample. Rafles et perquisitions dans les logements et les quartiers d’immigrés ont été à l’ordre du jour durant toute l’année 2003. Les immigrés ont été massivement traités comme des criminels potentiels, jusqu’à des menaces d’expulsion pour simple soupçon de collusion avec des organisations terroristes. Sans parler des traminots qui sont entrés dans la catégorie des dangereux délinquants pour avoir tenté d’obtenir une poignée d’euros supplémentaires en faisant grève hors des carcans imposés par une législation qui réduit le droit de grève à une peau de chagrin.

Et, avant eux, c’était au tour des millions de personnes qui avaient manifesté contre la guerre, contre le militarisme, contre la politique néo-coloniale du gouvernement italien. Par conséquent, sur le plan intérieur, la guerre préventive impose d’étouffer dans l’œuf toute tentative d’auto-organisation sociale qui échappe aux mécanismes cafouillants de récupération et d’intégration politique activés par les partis et les appareils syndicaux d’État.

En définitive, quiconque critique l’action du pouvoir exécutif finit par être soupçonné de terrorisme : à tel point que s’opposer simplement à l’abolition de l’article 18 du statut des travailleurs ou à la précarisation définitive du travail sanctionnée par la loi 30 suffit pour être assimilé aux assassins de Biagi.

À la fin de l’année, en conclusion logique d’une période où toute forme de dissidence était régulièrement criminalisée, sont arrivés ces colis. Inoffensifs pour leurs destinataires, mais savamment utilisés pour la réalisation locale de l’état policier global.

On entend déjà parler de lois spéciales qui viendraient s’ajouter aux nombreuses lois répressives où chaque nouvelle « mesure d’urgence » éloigne un peu plus des libertés conquises pourtant déjà bien minces. Pour réprimer les classes dominées, l’hypothèse d’une extension du délit d’association est déjà à l’étude, dérive fasciste qui se moque, comme toujours, du prétendu axiome libéral sur la responsabilité individuelle face au juge pénal.

L’alarme suscitée par ces colis de Noël a fini par donner un coup de pouce probablement décisif au lent et fastidieux processus de constitution d’une police européenne : aux carabiniers, policiers, financiers, vigiles, viendront s’unir les euro-cops !

Cet écran de fumée a fini par mettre au second plan l’affrontement institutionnel sur l’information, les difficultés croissantes à l’intérieur de la majorité ou des questions telles que les retraites et l’opposition entre liberté de licenciement et liberté de grève. Et dans ces mêmes semaines, l’équipe dirigée par le cavaliere Berlusconi, après avoir résolu avec d’autres lois « spéciales » ses propres problèmes et ceux de sa classe d’appartenance, se prépare à balayer ce qui reste du système de prévoyance et à relancer l’attaque contre les garanties résiduelles établies dans le statut des travailleurs.

Si une telle action devait être jugée d’après ses résultats, nous ne pourrions avoir de doute sur l’identité des expéditeurs de cette fumeuse correspondance. Et, disons-le clairement, en ce qui nous concerne, peu importe si les auteurs sont directement sous la dépendance du ministère de l’Intérieur ou si ce sont de généreuses opérations de volontariat. Gratuit ou rétribué, c’est un sale boulot.

Avec les paquets sont arrivées des lettres les revendiquant au nom d’une nouvelle organisation informelle dont l’acronyme, « FAI », est identique à celui de la Fédération anarchiste italienne. L’intention, dérisoire, est évidente. Peut-être moins évidente mais bien plus grave est la volonté de mettre en difficulté les anarchistes impliqués dans la difficile lutte quotidienne pour la construction d’une société d’individus libres et égaux.

Une telle société ne peut être imposée. Les anarchistes savent que la liberté est une pratique collective qui nécessite un emploi constant pour s’enraciner dans la conscience et l’action quotidienne de chacun, se traduisant dans l’action commune et la lutte sociale. La révolte contre l’oppression devient une gerbe de flammes stérile si elle ne construit pas dans le même temps, si elle ne sait pas contaminer l’atmosphère dans laquelle elle s’exerce et sans laquelle elle s’éteindrait.

Bakounine soutenait que la liberté de chacun s’accroissait avec la liberté de tous : là vit et s’alimente le cœur de l’anarchisme social qui constitue notre projet révolutionnaire, appuyé sur la transformation en protagonistes à la première personne des opprimés et des exploités.

L’action des anarchistes se réalise à l’intérieur des mouvements sociaux, dans le chemin vers l’autonomie vis-à-vis des institutions, dans la capacité à faire vivre des organisations spécifiques et des organisations de masse caractérisées par les principes de l’autogestion et du fédéralisme. Une Fédération anarchiste est un groupe de relations et de confrontation vivante entre des hommes et des femmes qui partagent la méthode libertaire et ont en commun un programme de transformation sociale radical. Une Fédération anarchiste préconise concrètement l’organisation sociale dans laquelle nous souhaitons vivre, où le rapport direct, le face-à-face, la confrontation et la rencontre entre des options diverses visent à la synthèse possible dans le respect des choix et des trajectoires individuelles. Sa constitution formelle est une garantie de liberté, parce que l’entente associative qui la constitue se fonde sur l’autonomie des groupes et des individus.

Les anarchistes de la Fédération anarchiste sont habitués malgré eux à affronter la répression. Notre implication dans la rue, sur les lieux de travail, contre le racisme, le militarisme, la guerre, l’oppression capitaliste et étatique nous a coûté de nombreuses dénonciations ces dernières années. Sans parler des coups de matraque, des perquisitions, des constantes opérations de désinformation opérées dans les médias.

Nous avons été dans les manifestations contre la globalisation capitaliste, devant les camps de concentration pour immigrés et les prisons, dans les luttes contre les fabriques de mort, les décharges nucléaires, les incinérateurs, nous avons fait grève et soutenu des piquets, nous sommes présents dans les luttes sur le logement et les espaces sociaux, là où se pratiquent l’auto-organisation, l’action directe, le refus de la délégation et la participation : de la Lucania de la révolte contre la décharge nucléaire aux traminots en lutte.

Le gouvernement et la presse s’obstinent dans le binôme bombes et anarchistes, terrorisme et anarchie : nous ne nous laisserons pas intimider, aujourd’hui comme en 1969. N’en déplaise à qui a cru nous mettre en difficulté en manipulant notre sigle et en le jetant en pâture aux médias. Beaucoup de gens nous connaissent et savent qui sont les terroristes qui chaque jour bombardent, empoisonnent, assassinent, emprisonnent ceux qui n’ont pas de pouvoir et sont exploités. Ils sont assis sur les bancs du gouvernement, dans les hiérarchies de toutes les églises, dans les conseils d’administration des grandes entreprises et des banques, dans les travées du parlement, dans les quartiers généraux des armées. Pour les vaincre, nous avons besoin de l’implication solidaire de tous les opprimés et les exploités : les seuls capables de mettre fin à l’oppression, à la hiérarchie, à l’État.

Des compagnes et compagnons de Turin, Alexandrie, Vercelli, Milan, Novate, Varese, Bergame, Venise, Trieste, Savone, Chiavari, Gênes, La Spezia, Carrare, Livourne, Pise, Reggio Emilia, Parme, Correggio, Val d’Enza, Bologne, Imola, Chieti, Rome, Naples et Palerme


Transmis par le secrétariat aux Relations extérieures de la FA.