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L’Armée recrute à l’université

Le jeudi 22 janvier 2004.

Il y a quelque temps, je m’indignais en apprenant d’un collègue que les 2es années du CUST (science) élaboraient un projet avec l’armée. Cela me semblait totalement aberrant et un nombrilisme certain me laissait croire qu’en fac de Lettres j’étais hors d’atteinte des bellicistes de toutes sortes.

Malheureusement, ce n’est pas si simple et, via l’affichage de l’administration, le CEHD annonce son prix d’histoire militaire. Créé en 1996 par arrêté signé conjointement par le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le CEHD a pour mission de développer, en liaison avec les institutions universitaires, l’histoire militaire et l’histoire de la défense, sous tous leurs aspects. Ainsi le CEHD accorde également des allocations de recherche à des étudiants de DEA ou de doctorat effectuant leur travaux sur les questions ayant trait à l’histoire de la défense, sans restriction de domaine ou de période.

Évidemment, il ne faut pas voir ici une entreprise philanthropique visant à aider les pauvres étudiant.e.s. Leur but est « d’encourager et de promouvoir la recherche dans le domaine militaire » (art. 1 du règlement). Et, s’il est écrit que les travaux n’ont pas de « restriction de domaine et de périodes, c’est tout de même le jury qui décide des travaux touchant à l’histoire de la défense admis à concourir ». Accepteraient-ils une thèse sur l’histoire de l’objection de conscience ? Il est permis d’en douter lorsqu’on connaît la composition dudit jury ! Tous sont membres CEHD ou de l’armée !

Voilà donc le ministère de la Défense qui s’arroge le droit de déposer son sceau sur des travaux universitaires (« en cas de publication les lauréats sont tenus de faire mention de leur prix en couverture »). Tout cela est grave pour la recherche car elle se trouve à la botte de mécènes qui cherchent, par le biais d’allocations et de prix, à contrôler et à s’approprier toutes études faites sur le sujet. Quel intérêt scientifique aurait une thèse effectuée sur l’histoire de l’automobile si elle était récompensée par le centre d’études historiques de Peugeot ou de Renault ?

Ce genre de financement, même s’il n’intervient qu’a posteriori, ne peut que nuire à l’indépendance de l’étudiant.e durant ses travaux. De plus, il paraît évident que sous prétexte d’aides, c’est l’idéologie militariste que tend à développer le ministère de la Défense en s’appuyant sur les sciences humaines. Si les sciences inventent les armes, l’étude de l’histoire légitimise leur utilisation !

Ce type de collaboration interministérielle est inacceptable et montre à quel point les méthodes de l’État et de l’armée sont sournoises, insidieuses et abjectes. Mais cela n’a rien d’étonnant. Le plus grave, c’est que l’université aujourd’hui, dans son ensemble, loin de s’indigner de ce genre de pratiques, les intègre parfaitement. Cela prouve une nouvelle fois que l’éducation nationale est loin d’être la panacée car elle participe à la propagande de l’État et de son armée. Nous nous devons donc de rester vigilant face aux attaques que subit notre école.

Erwan Charny, CNT FAU 63