Oui, encore un article sur le port du voile. Non, tout n’a pas encore été dit sur le sujet. Oui, une loi l’interdira dans les écoles, ou essaiera de le faire. Non, le cauchemar de toutes celles qui continueront à le porter, ailleurs, ne s’arrêtera pas pour autant. Disons seulement qu’une fois l’affaire passée dans la sphère du « privé », elle devrait alors déranger moins de monde… Il y a une dizaine d’années, les anarchistes avaient déjà tout dit sur le sujet dans Le Monde libertaire, mais, vu les circonstances, on se sent obligé.e.s d’en remettre une couche !
Aujourd’hui, certains intellectuels (ce sont en majorité des hommes) se posent comme spécialistes du sujet et finissent, comme Pierre Tévanian [1], par se ranger aux côtés de Tariq Ramadan, pour faire avaler la thèse de jeunes lycéennes médiatisées : « Je me voile parce que je le veux bien ». Il s’agit ensuite de traiter d’islamophobes toutes les personnes qui osent encore se positionner radicalement contre le port du voile : « Ni putes ni soumises », Prochoix, puis L’Émancipation (organe qui lui a pourtant ouvert ses colonnes) et bientôt Le Monde libertaire (idem) ?
Heureusement, Bas les masques, le puissant petit ouvrage écrit par Chahdortt Djavann donne enfin la parole aux personnes les premières concernées : celles qui l’on porté. Il rapporte le témoignage d’une femme voilée de force pendant dix ans et les réflexions qu’elle a mûries, du dessous. Il ne suffit pas de parcourir ses 46 pages puis de le refermer aussi vite : il est criant de vérité et pose, enfin, les vraies questions. Celles que nous évinçons, par peur ou lâcheté intellectuelle, ou que certaines belles langues tentent de faire oublier : en essayant de noyer le poisson.
Une loi ne peut pas, en soi, combattre l’intégrisme religieux
Jusqu’où iront les intégristes de toutes les religions, si nous ne réagissons pas fermement ? D’autres lois, celle de 1905, n’ont-elles pas été déjà bafouées par les religieux qui enseignent encore aujourd’hui, au sein de l’école publique, particulièrement en Alsace et en Lorraine leurs bondieuseries, tout en étant rémunérés par l’état ? Une loi ne suffit pas pour combattre l’entrisme de tous les intégrismes. Comment faire pour que l’affaire du voile, après avoir été mise à l’affiche médiatique au niveau de l’école, ne finisse pas dans la banalisation de la « sphère du privé » ? Mais, qu’en pensent, avant tout, les premières personnes concernées ?
Chahdortt Djavann : « De 13 à 23 ans, j’ai été emprisonnée sous le noir du voile et je ne laisserai personne dire que ce furent les plus belles années de ma vie. » L’écrivaine iranienne observe que : « Trop d’intellectuels français parlent volontiers à la place des autres : celles qu’on entend pas. Pourquoi voile-t-on les fillettes de 12, voire 7 ans et pas les garçons du même âge ? Leur corps n’est-il pas également susceptible de susciter le désir des filles ? »
Chahdortt Djavann nous rappelle que « chez les musulmans, seules les filles, dès la naissance, sont une honte à dissimuler, puisqu’elles ne sont pas mâles, donc considérées inférieures, et se posent comme objet potentiel du délit ». Seul le sang des filles peut laver l’honneur d’un père ou d’un frère. D’autres témoignages comme le livre de Souad, Brûlée vive, aident à comprendre les mécanismes des derniers sursauts de l’obscurantisme patriarcal et fanatique, du droit de vie ou de mort d’un homme sur une femme. Le film de Jafar Panahi, Le Cercle, est également incontournable, pour qui veut se faire une idée de ce que peut être « la malédiction de naître fille dans un pays musulman ».
Même voilée, une femme peut encore être réprimandée. Cette réalité posée, on ne parle plus du port du voile à l’école, mais du voile tout court. Dans les pays musulmans, le hijabe n’est pas qu’un simple foulard : il doit dissimuler entièrement le corps et séparer l’espace féminin et l’espace masculin. La femme doit se tenir à l’abri du regard des hommes et Chahdortt Djavann avance que « le voile, au contraire, pose les filles en objets sexuels, parce que ce que l’on est censé cacher est au contraire exacerbé. Le voile, c’est laisser l’homme libre, au dehors, et la femme prisonnière, au dedans ». L’homme, avec son « nâmous » (l’honneur sexuel, un peu tabou et protégé par la mère et le corps féminin) et la femme, avec sa « hayâ » (la honte d’être femme). Car pour l’homme musulman « ce n’est pas la relation sexuelle qui est tabou : l’autre sexe, le corps féminin est en soi un tabou. En cas de divorce, la femme revenue sous le toit paternel redevient un sujet d’inquiétude, car elle se transforme alors en… marchandise renvoyée ! ».
Selon l’auteure : « Le voile qui dissimule la femme est autant détesté que désiré par l’homme musulman, car il lui rappelle l’amour maternel, mais aussi la première blessure qui lui déroba la mère. De plus, le voile ne protège pas les femmes voilées de l’insulte si, malgré leur corps dissimulé, elles attirent quand même les regards illicites. » Il s’agit là de « la mise en place d’une mécanique infernale, inventée par les hommes pour les hommes. Totalement inefficace si on réalise que dans les pays musulmans, malgré le voile, le viol et la prostitution contrainte continuent de faire des ravages ». Le voile ne protège de rien !
Porté en France, le voile devient un moyen d’attirer le regard, un élément de provocation, Chadortt Djavann dénonce les « femmes objet sexuel et fières de l’être, même si cela les regarde puisqu’elles sont adultes ». En revanche, l’auteure proclame haut et fort que « ce n’est pas au nom de la laïcité qu’il faut interdire le port du voile aux mineures, à l’école et ailleurs : mais au nom des droits de l’homme et la protection des mineures ».
Dans la dernière partie de l’ouvrage, Chadortt Djavann s’en prend aux intellectuels musulmans et à la notion d’islam laïque. Selon elle : « Il s’agit d’une aberration, une religion ne pouvant être publique et à la fois privée. Ils ont lancé l’idée du voile comme revendication d’une “ nouvelle identité ”, alors qu’il s’agit d’une modernisation des formes antiques de l’aliénation et de l’exclusion. Certains défenseurs des jeunes lycéennes voilées défendent un symbole de discrimination sexuelle, qui n’inverse en rien le sens des signes, mais le perpétue ».
Des femmes voilées dans la rue… mais bien encadrées
Le 21 décembre 2003, environ 3 000 personnes ont manifesté à Paris, de République à Bastille (et environ 300 à Strasbourg). À Paris, elles étaient encadrées par des militants de la néo-intégriste UOIF, qui pourtant n’appelait pas officiellement à la manifestation. Et les femmes, même voilées, ont eu du mal à se faire entendre et surtout à prendre la tête du cortège. En effet, les organisatrices durent batailler ferme pour que « les frères laissent passer les sœurs devant eux ». Chaque fois qu’une femme voilée tenant une pancarte était photographiée, un groupe d’hommes, souvent barbus, s’interposait et il n’était pas facile de les faire reculer [2]. Ceci est donc révélateur des propos de Chadortt Djavann, de Souad ou des militantes de « Ni putes ni soumises » : mêmes voilées, les femmes ne sont pas respectées !
Car, en marge d’une loi, demeure le problème du voile dans son entier. De plus, la prolifération des écoles religieuses privées et la mise en marge des individus issus de l’immigration n’augurent rien de bon. Alors, quoi faire, sinon continuer à expliquer que le voile n’est que la négation de la femme, en s’appuyant sur le vécu des Chadortt Djavann, Souad, ou des sympathisantes de « Ni putes ni soumises » et tant d’autres femmes anonymes. Il faut refuser de se « voiler la face », pour ne pas éluder le problème de fond. Le combat pour l’émancipation des femmes, voilées ou pas, ne fait que commencer. Debout femmes (et hommes) esclaves et brisons nos entraves !
Patrick Schindler, groupe Claaaaaash, FA