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Nature du terrorisme

Le jeudi 18 octobre 2001.

Lors des nombreux documentaires s’interrogeant sur les conséquences futures de l’intervention militaire américaine et de l’OTAN en Afghanistan, certaines personnes ont souligné que toute intervention armée brutale provoquerait l’émergence de nouvelles générations de terroristes islamistes. Il n’est plus à démontrer que les peuples arabes ne supportent plus les bombes occidentales qui s’abattent régulièrement sur leurs différents pays. Ces peuples, soumis depuis des décennies à la volonté despotiques des tyrans, souvent mis en place par nos propres gouvernements et maintenus à leurs postes de dictateurs par la vente massive d’armes technologiques empêchant tout soulèvement populaire, doivent assumer la famine résultant de ces guerres, la détresse de leurs habitats détruits, l’impuissance à pouvoir sauver leurs enfants des séquelles mortelles des empoisonnements chimiques ou radioactifs des bombardements. Comment s’étonner qu’une partie de ces habitants se retournent vers le message de l’islam intégriste, se replient sur leur foi et prient qu’Allah leur donne la force de combattre cet Occident qui semble n’avoir comme seul but que leur asservissement total.

Qu’a fait l’Occident sinon renforcer à tous les niveaux le pouvoir exorbitant de leurs sultans, rois ou présidents afin de conclure avec eux les contrats d’exploitation de leurs sous-sols riches en gaz, pétrole, minerais afin d’y puiser les ressources qui nous permettent aujourd’hui de figurer parmi les membres de ce G8 qui s’honore d’afficher sa puissance financière et technologique ? Si ces peuples avaient pu bénéficier du produit réel de leur travail et accéder à la culture, aux loisirs, à l’habitat et à la nourriture auxquels tout peuple aspire ou auxquels tout peuple a droit, il ne fait aucun doute que les paroles sulfureuses de quelques imams intégristes n’auraient pas réussi à porter leurs fruits car les peuples aspirent à la paix. L’intégrisme islamiste se serait réduit au niveau que frôle l’intégrisme catholique ou à celui de l’ultra-orthodoxie intégriste juive.

Désinformation et services secrets

Que l’on nous informe que l’on ne saura rien n’est guère surprenant. En ces temps de guerre, cela a toutefois l’avantage de laisser supposer qu’auparavant l’information nous était délivrée sans passer par le filtre policier ou militaire. Les journalistes qui prêtent tant d’attention à ce que leur carte d’accréditation auprès des ministères et des ambassades ne leur soit pas retirée par le fait de révélations imprudentes savent que l’information est un produit construit de toute pièce comme ces faux passeports pouvant se révéler être vrais ou inversement.

Il est curieux de constater en cette période de ferveur fanatique dopée de religiosité politique, où les forces en combat se réclament de Dieu, d’Allah, du Bien ou du Vrai, que le mensonge soit érigé en vertu transitoire. Pour une fois, dans ce combat titanesque contre le Mal, le Bien doit se résoudre à revêtir l’habit de son adversaire et utiliser les armes de la fourberie classique. Étant donné les multiples services que la CIA rendit aux services islamistes intégristes qu’elle finança, arma et entraîna, nous ne doutons que ces deux camps devenus momentanément adverses aient gardé l’habitude d’échanger leurs costumes, leurs équipements et leurs enseignements. Rappelons que les Etats-Unis utilisèrent pour lutter contre l’Union soviétique les membres des services de renseignement nazis et que les missiles nucléaires qui dévastent aujourd’hui la planète n’auraient pas atteint une capacité de frappe similaire si les USA, la France et l’URSS n’avaient réemployé les savants qui peu de temps avant officiaient pour le compte du troisième Reich. Il devient donc difficile dans ces conditions de porter un jugement visant à diaboliser uniquement l’intégrisme musulman sans dénoncer avec autant de virulence l’intégrisme politique, policier et militaire qui gouverne nos démocraties occidentales qui dénaturent chaque jour un peu plus le mot « démocratie ».

Religion et extrême droite

Lorsque les représentants des divers cultes religieux assurent que les guerres ne doivent pas se faire au nom des religions, ils semblent être devenus aveugles ou atteints d’amnésie chronique. Il est vrai qu’on ne les entend guère dénoncer publiquement les excès des courants ultra-orthodoxes qui parcourent l’espace de leur propre culte. Pourtant, une même chose unit ces divers courants confessionnaux : leur lien politico-financier, sorte de pieuvre-piolet les retenant à toutes les infractuosités des droites nationales auxquelles dorénavant les socio-démocrates semblent eux-mêmes fortement attachés. Ce qui amène les services secrets de nos gouvernements respectifs, à l’échelle planétaire, à jouer les bons offices et sur ce plan-là, le budget est roi, ce qui donne à la CIA une place privilégiée et l’on sait qu’elle n’est pas regardante. Ces consœurs non plus, d’ailleurs. Ce qui l’intéresse n’est pas votre religion ou vos idées mais uniquement si vous pouvez être un outil servant la prospérité américaine ou un frein à ses visées économiques. Bush vient de vous le rappeler. Avec ou contre l’Amérique ! Même l’Europe qui gueulait les mains en porte-voix contre le système d’écoutes Echelon n’a pas moufeté à l’annonce par Bush du renforcement de ces écoutes. Le grand frère a parlé et l’Europe qui ne savait plus comment s’y prendre pour encadrer et surveiller les rebelles anti-mondialistes et qui dû mettre en veilleuse, après l’assassinat de Carlo Giuliani, son projet de police anti-émeute européenne, lance ses nouveaux paramètres de collaboration policière et promet de plancher sur l’analyse du mot « terrorisme » afin que sa nouvelle police européenne créée pour le combattre puisse se parer de ses vertus judiciaires et républicaines. En attendant, la CIA n’a toujours pas été jugée pour l’attentat de la gare de Bologne et l’extrême droite vaticanesque et militaire italienne qui l’aida à le commettre est au pouvoir aujourd’hui.

Les milliers de victimes de Manhattan étouffent de manière étonnante le fait que la CIA ait financé des groupes du GIA que l’extrême droite française soutint publiquement sans pour autant que ses candidats à l’élection présidentielle aient à en souffrir. Tout ceci laisse penser que toutes les déclarations au sujet des femmes afghanes sont bien circonstancielles et que la critique du voile en cette occasion ne relève que d’un prétexte de diabolisation de l’intégrisme islamiste, car jamais les gouvernements ne font état du sort des femmes voilées en Arabie Saoudite, au Pakistan, à Oman au Qatar, tous pays d’ailleurs friands d’achats d’armes européennes, ce qui explique sûrement le silence de la France, République parmi les républiques. Rappelons que les femmes en France, du moins celles cloîtrées dans les monastères par la permanence légalisée d’un intégrisme catholique similaire, sont voilées et enfermées dans des cellules sans droit de visite. Au nom de la foi.

Terreur et menaces

Certains ont comparé Bush et Berlusconi à Ben Laden. Il est vrai que nombre de choses les assemblent : l’argent, le goût de la menace, la folie du pouvoir. Mais le langage de Bush garde la veulerie du langage des croisés du Moyen âge et se rapproche plutôt de celui de Poutine qui désirait buter du Tchétchène jusque dans les chiottes. Là encore, l’Europe donne le degré de la lâcheté de ses gouvernants et la population tchétchène n’a qu’à enterrer ses morts sans broncher. Soi-disant, pour ne pas froisser la susceptibilité musulmane, le nom de guerre « Justice sans limite » a été changé. Rappelons que Camus écrivit dans l’Homme révolté : « La liberté absolue raille la justice. La justice absolue nie la liberté. Pour être fécondes, les deux notions doivent trouver l’une dans l’autre leur limite. » [1]

L’Europe ne semble guère en voix de trouver la sienne. Accepter en son sein un Haider et un Berlusconi revenus au temps de la supériorité de la race blanche ne peut que rétrécir la voix vers une possible liberté.

Joaquim Lopez


[1Albert Camus, l’Homme révolté, p. 349, Gallimard, coll. Idées