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Nantes

La « Patate chaude » des sans-papiers

Le jeudi 18 octobre 2001.

Derrière l’appellation « sans-papiers », c’est en fait une population très diverse et très changeante dont il s’agit. Les sans-papiers se succèdent à vitesse grand V, témoignant de nouvelles migrations, mais aussi du succès relatif des luttes précédentes. À Nantes, il existe un réseau d’associations luttant pour les droits des étrangers : ce tissu associatif (Gasprom, LDH, MRAP, Cimade, Amnesty, Pastorale, etc.) a su se mobiliser à chaque mauvais coup porté à l’immigration et obtenir des résultats concrets. Ce réseau qui fonctionne maintenant depuis 1990 avec le soutien aux luttes des déboutés du droit d’asile s’est maintenu tout au long de la décennie, contre les lois Pasqua, Debré et Chevènement ou pour exploiter au mieux l’« ouverture » de la circulaire Chevènement de 1997. Bien entendu, l’attitude face à la gauche gouvernementale fut et est toujours l’objet de débats au sein de ce réseau. Mais l’unité s’est faite malgré tout autour des cas concrets de sans-papiers avec la volonté affichée de ne pas rentrer dans le jeu du « cas par cas » vers lequel veulent nous entraîner préfecture, mairies et organismes sociaux. En marge ou à l’intérieur de ces associations, les libertaires et antifascistes radicaux nantais ne sont pas restés inactifs tout au long de ces luttes, soutenant les actions d’occupation des sans-papiers, créant le CAE (collectif anti-expulsion) pour s’opposer concrètement aux politiques d’expulsions d’étrangers et exiger la fermeture des centres de rétention.

Occupations et luttes

Ce qui allait donner un souffle nouveau à la lutte des sans-papiers, ce fut l’occupation à Nantes de l’église Sainte-Thérèse au printemps 1998 autour de la revendication de régularisation immédiate. Cette occupation dura quelques mois avant que l’évêque pressé par des paroissiens particulièrement droitiers ne demande aux sans-papiers de quitter les lieux. C’est à ce moment (rentrée 1998) que l’union départementale CGT mettait à disposition des sans-papiers un grand local de la Bourse du travail, dans le but d’appuyer leurs revendications. L’opération allait se solder par un nombre important de régularisations, ce qui ne signifie pas que la Bourse se vidait, puisque de nouveaux sans-papiers se présentaient. Très vite, cependant, le lieu allait s’enfoncer dans la routine et devenir plus un simple lieu d’hébergement au lieu d’être un lieu où s’élaborent des luttes pour la régularisation. La fermeture de la vieille Bourse du travail était prévue de longue date, la municipalité mettant de nouveaux locaux à disposition des syndicats. En mai 2001, les sans-papiers et le collectif de soutien entamaient des négociations avec la mairie de Nantes, propriétaire des lieux.

La mairie récupère ses locaux de force

Depuis quatre mois, les rassemblements se succèdent. Ces rassemblements peuvent se transformer en camping comme ce fut le cas fin août dans le square Amiral-Halgand devant la mairie et, depuis quelques jours, sur la place des Ports-Communaux près de la préfecture. Quelques résultats ont été engrangés suite à ces luttes, puisque la mairie a accepté de reloger 87 personnes. Ces 87 sans-papiers sont celles et ceux qui ont été « recensés » par les services de la mairie comme occupants de la Bourse début juillet. Vers le 15 août, la mairie, en même temps qu’elle annonçait ce relogement en lien avec des organismes sociaux ou caritatifs, indiquait qu’elle n’irait pas plus loin, ce que les associations étaient unanimes à dénoncer car, depuis début juillet, une cinquantaine de personnes, pour la plupart en demande d’asile, avaient rejoint la Bourse. Après le départ définitif de la CGT vers le 23 août, les demandeurs d’asile décidaient de squatter les locaux de l’ex-Bourse du travail jusqu’à satisfaction de leurs revendications. Lors d’une conférence de presse le 20 septembre, Jean-Marc Ayrault, député-maire socialiste, invoquait un « devoir de vérité envers les Nantais » ajoutant que sa ville « ne peut donner l’illusion qu’à Nantes, nous allons régler tous les problèmes ». Et d’annoncer la fermeture imminente des lieux squattés. Le fond du problème est là : demandeurs d’asile et sans-papiers sont considérés comme indésirables par les pouvoirs publics d’État ou de collectivités, qui préfèrent accueillir des cadres supérieurs plutôt que des damné(e)s de la terre. Le résultat, c’est que ceux-ci sont réduits à errer d’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. Il faut surtout veiller à ne pas donner d’illusions aux candidat(e)s à l’installation : désespérés ils sont, désespérés ils doivent rester. Voilà une singulière pédagogie.

La gauche tient parfois ses promesses

J-M Ayrault allait tenir promesse puisque des gardes mobiles intervenaient le 5 octobre à 6 heures du matin pour expulser les occupants de l’ex-Bourse. Ceux dont le dossier d’asile est en cours d’étude ont été laissés dans la rue. Seuls quatre sans-papiers ont été embarqués par la police aux frontières (PAF) tandis qu’un copain du SCALP était embarqué par les flics. Trois des sans-papiers allaient recevoir un arrêté de reconduite et être placés en rétention. La suite est une série de rassemblements, lors de l’inauguration de nouveaux locaux de la SNCF ou au tribunal administratif où le TA a malheureusement confirmé les arrêtés de reconduite. Le 6 octobre, avait lieu place du Commerce l’opération « le monde n’est pas une marchandise » à l’initiative unitaire du collectif du même nom (ATTAC, confédération paysanne, LDH, associations diverses et… toute la gauche plurielle nantaise, PS compris, celle-là même qui applaudit Ayrault). Les demandeurs d’asile avaient décidé de troubler la fête « unitaire » pour rappeler qu’eux aussi étaient victimes de la mondialisation marchande et autoritaire. À 16 heures, après une allocution d’un animateur du Gasprom (association de solidarité avec les travailleurs immigrés), environ 300 personnes ont délaissé les stands et les débats pour partir en cortège dans le centre-ville sous les slogans du type « gauche plurielle, gauche poubelle, elle prépare la guerre, elle expulse les sans-papiers », ce qui a causé évidemment quelques grincements de dents dans les rangs de la gauche bien pensante. Dernière réponse de la préfecture aux demandeurs d’asile : elle tente de les disperser dans les grandes villes de la région Pays-de-la-Loire. En attendant les prochain(e)s, étant donné l’état du monde…

Hervé, groupe FA de Nantes