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« Le Temps gage », Jean-Michel Mension

aventures politiques et artistiques d’un irrégulier à Paris
Le jeudi 18 octobre 2001.

L’autobiographie est un genre difficile. La tendance « moi je » y est généralement prédominante. Le ton y est souvent pleurnichard, voire testamentaire. La complaisance y est presque toujours de rigueur. Le microscope laisse rarement de la place à la lunette astronomique.

Bref, les autobiographies sont souvent lourdingues. Le nez sur le guidon. Tortueuses. Alambiquées. Péremptoires. Un pied dans la tombe.

Le Temps gage, livre autobiographique de Jean-Michel Mension, est une exception à cette règle d’airain. Jean-Michel Mension, en effet, s’y raconte sans jamais oublier de raconter. Et ça change tout.

La presque soixante dizaine. Né en 1934. Papa et maman prolos. Un peu juifs sur les bords. Carrément cocos. Mais à la mode Benoît Broutchoux. Rebelles. Mais fidèles. Parce qu’à l’époque… Et donc les chiens ne faisant pas des chats, le minot aurait pu difficilement se la jouer autrement que frontière. Et il s’en est fait de multiples. À l’école, bien sûr. Un pied dedans, un pied dehors. En quête de… Toujours en quête de… Résultat des courses, à 17 ans, ça croque la vie, ses révoltes, ses espoirs, ses peurs et ses chemins de traverse, à pleines dents. Ça vit à Saint-Germain, à Saint-Trop, à Bruxelles, ça picole à mort, ça baizouille à vie, ça surfe sur la vague, c’est toujours là où il se passe quelque chose, ça rencontre des tas de gens en dehors des clous dont beaucoup seront des poteaux d’angles du xxe siècle. Ça s’immerge dans le temps. Ça s’engage dans les problème du temps, sans vraiment s’engager, mais tout en y mettant toujours le meilleur de soi et de sa désespérance. Ça flirte avec la guerre d’Algérie.

C’est contre mais ça y va quand même. Histoire, sans doute de… Ça fricote avec les lettristes et, pendant plusieurs années, avec un certain Guy Debord. Ça brûle la chandelle par les deux bouts. Et puis… Et puis, tout en continuant à picoler, à baizouiller, à rencontrer, à errer, à se frotter, à se confronter, à chercher…, ça finit par revenir aux sources, militer au PC, puis échouer à la Ligue communiste révolutionnaire. Sans jamais, à chaque fois, canner sur l’essentiel. En restant un rebelle, un jamais dans la ligne, un toujours du côté de la révolte, de l’impertinence et de la vie. Comme on le voit, le parcours est tout sauf triste. C’est l’histoire d’un mec et d’une époque. D’un drôle de mec et d’une drôle d’époque. Et, c’est détonnant ! Jean-Michel Mension, en effet, n’a pas de message à transmettre. Ni sur lui-même, ni sur son époque. À quelques encablures du néant, histoire, simplement, de faire le point, son ambition est moins de se dire que de dire. Ça s’appelle témoigner. Mais de quelle manière !

Lisez ce bouquin, il est fabuleux. C’est un livre de chair, de sang, de merde, d’amour, d’espérance, de désespérance et de mélancolie. C’est un livre d’une époque et d’une génération. La dernière à refuser de voir que le trotskisme n’est qu’un stalinisme ayant échoué dans sa quête du pouvoir. Mais ce livre n’est pas que cela. C’est un livre merveilleux de style et d’écriture. Peuplé de phrases courtes. Simples. Tonitruantes. Désopilantes. Avec des respirations en veux-tu en voilà. Du rythme. Du cœur. De la violence. De la douceur. De l’authentique. Oserai-je le dire (j’ose), il y a du Camus chez Jean-Michel Mension. Oserai-je (j’ose) également le dire, à le lire, j’ai le sentiment que si les zanars se mettaient à conjuguer leur autre futur à un autre présent, il est des Camus qui seraient alors des Rimbaud.

À quoi ça tient !

Jean-Marc Raynaud


Jean-Michel Mension (Alexis Violet), le Temps gage, éditions Noésis, collection Moisson rouge, 416 p., 139 F.